Un non-atlas pour les professionnels de la culture scientifique

Publié par Bastien Fayet, le 18 avril 2024   940

Dans ce livre on trouve des cartes et des textes et pourtant ce n'est pas un atlas. Mieux encore, il peut remettre en perspective ce que vous pensez des cartes et de la cartographie et vous donner de nouveaux outils de médiation.

Ceci n'est Pas un Atlas fait partie des livres nommés pour le prix du livre du Festival International de Géographie de St-Dié des Vosges cette année. Il présente 21 exemples de contre-cartographie réalisées par des chercheurs et des collectifs de citoyens à travers le monde. Vous y trouverez également un livret vous permettant de réaliser vos propres ateliers de cartographie participative. De quoi offrir des perspectives intéressantes en matière de médiation scientifique et technique.

Et donc pourquoi ce livre n'est pas un atlas ?

Une contre-cartographie pour un contre-atlas

Tout d’abord ce livre présente une dimension militante, revendiquée par les auteurs, il n'en a pas moins une valeur scientifique. Dans cette perspective il s'inscrit dans le champ de la géographie critique (et dans ce cas, de la cartographie critique pour être plus précis). Ce sous-champ disciplinaire de la géographie visent à mettre en lumière les rapports de domination et les inégalités qui induisent la production de l'espace. C'est à dire la façon dont l'espace est conçu, construit et vécu par les organisations et la population en fonction des situations d'inégalités (de classe, de genre, de race...). La cartographie critique s'inscrit également dans le mouvement des communs, souhaitant rendre partageable et accessibles les différentes données et les outils cartographiques.

Ce que les auteurs expliquent, à travers ce livre destiné à toutes et tous et pas seulement aux géographes professionnels, c'est que la cartographie et les atlas sont habituellement utilisés par les dominants (institutions privés et publics) pour identifier leurs possessions, les frontières, les conflits militaires, les aménagements urbains....bref pour mieux contrôler leur territoire et la population qui y habite.
Comme le disait le géographe Yves Lacoste dans les années 70 "La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre". C'est peut-être une vision un peu dure de la science qui étudie les relations entre les sociétés et leurs espaces mais qui néanmoins avait le mérite de rappeler le rôle politique des cartes et de l'impact de leur utilisation sur la population.

Ainsi les auteurs ont décidé de mettre en lumière des initiatives de contre-cartographie, c'est à dire de cartographies participatives visant à donner les outils et les moyens à des citoyens de cartographier les problématiques qu'ils rencontrent, leur situation de discrimination, d'expropriation, leur vécus...ou d'autres projets de cartographie, plus académique, qui vise à montrer des situations d'inégalités dans l’espace.
Au-delà de mettre ces initiatives en valeurs, le livre présente également la diversité et la créativité des cartes proposés, autant numérique, papier, que tissus... s'éloignant plus ou moins des standards académiques mais toujours adaptées à la situation que les participants souhaitait montrer.

Ce que l’on peut y trouver

  • Donner à voir le sans-abrisme

Des chercheurs de la ville de Newcastle au Royaume-Uni ont organisés 6 ateliers de contre-cartographie avec 30 personnes vivant dans la rue ou hébergées dans des logements accompagnés. Un fond de carte vierge de la ville était présenté aux participants qui devait écrire dessus des événements de leur vie et des expériences de leurs quotidiens situé sur la carte. Cela permettait montrer la diversité du vécu des sans-abris dans la ville. L'outil cartographique a notamment permis aux participants de s'approprier facilement l'atelier.

Carte montrant la réalisation des sans-abris lors de l'ateliers, le fond de cartes est recouvert d'inscription sur leurs vécus tel que
Exemple d'une carte réalisée par les sans-abris - Source : Ceci n'est pas un atlas

  • Cartographier la lutte contre l'éviction

Porté par un collectif documentant la gentrification dans la baie de San-Francisco, le projet Cartographie Anti-éviction vise à réaliser des visuels concernant les départs forcés et à les mettre en récit pour mieux les diffuser. Le collectif associe notamment aux cartes d'autres supports, par exemple des histoires orales des victimes d'éviction, mettant parfois en lumière les violences racistes à l'œuvre, qui ne sont pas visible avec la carte seule. Ces récits oraux ont notamment été projetés sur des façades de bâtiments de San Francisco.

Texte projeté sur la façade d'un batiment racontant l'histoire d'une éviction
Exemple de projection d'une histoire orale sur la façade d'un bâtiment - Source : Ceci n'est pas un atlas
Carte d'Oakland réalisée par le collectifs anti-éviction, montrant l'augmentation des prix des loyers et l'évolution des procédures d'éviction
Carte réalisée par le collectif concernant l'augmentation des prix des loyers et l'évolution des procédures d'éviction - Source : Collectif AEMP

  • Cartographies textiles

Issu d'un travail de recherche au Maroc entre 2010 et 2016 le but de cette cartographie atypique était de restituer les espaces pratiqués et vécus par les femmes d'un quartier populaire. Le travail à partir d'un support textile cherchait à approcher la complexité sensible des espaces. Les personnes ont ainsi réalisé la carte en brodant et cousant, mobilisant un savoir traditionnel et en s'interrogeant sur la manière dont elles souhaitaient représenter leurs vécus. Ce qui a également faciliter l'appropriation de ces cartes par d'autres personnes qui pouvait autant les regarder, que les toucher ou les compléter.

La cartes réalisé à partir de tissus montre le trajets des femmes qui l'ont réalisé, dans leur quartier en faisant varier la matière du tissus et la couleurs pour les lieux et avec un fil reprenant leurs déplacements
Carte en tissu réalisée lors de la recherche participative - Source : Ceci n'est pas un atlas

Avant de continuer sachez que les différents chapitres du livre sont disponibles gratuitement sur le site Éditions du commun. Ainsi qu'un petit manuel pour organiser des ateliers de contre cartographie qui est téléchargeable ici : https://t.editionsducommun.org/ceci-nest-pas-un-atlas/Fanzine-Petit-manuel-de-carto-collective-et-critique-WEB.pdf.

Et pour les professionnels de la culture scientifique ?

Pour les professionnels de la culture scientifique (et même au-delà) ces outils de contre-cartographie peuvent être utilisé de différentes manières.

Dans le cadre d'ateliers internes et d'animation de réseau cela peut permettre de mettre en lumière les actions de médiation dans les territoires, peut-être même d’en révéler certaines plus informelles.

Mais bien sûr l'utilisation la plus intéressante restes celles à destination des citoyens, dans un objectifs de diffuser ces outils et les méthodes qui y sont liés pour que les participants puissent ensuite les réutiliser.
Mais aussi pour travailler autour d'une situation particulière, liée aux sciences techniques et naturelle et y ajouter une dimension sociale, utile aux habitants (le référencement des arbres remarquable d'un quartier pour éviter qu'ils soient abattus, la représentation graphique d'une problématique que rencontre les habitants pour la défendre devant les élus...).
Il est ainsi possible pour les publics de choisir la thématique sur laquelle ils souhaitent travailler et de porter un projet. Bien entendu les habitants vont choisir un sujet en rapport avec leur quotidien et cela va demander aux professionnels d'être capable d'inscrire leur objectif de médiation scientifique dans celui-ci.

Néanmoins ce qu'il peut en résulter c'est un empowerment des citoyens qui obtiennent des outils concrets permettant d'utiliser la cartographie tout en travaillant sur des sujets de culture scientifique. Le support est d'autant plus valorisable qu'il est porteur d'un sens pour les participants.

La contre-cartographie, en plus d'être une méthode scientifique, permettant de travailler sur des sujets d'actualité et des enjeux de société liés aux sciences, permet de relier les connaissances scientifiques au quotidien des participants.