Les communautés d’énergie : un moyen de partager la production d’électricité à une échelle locale

Publié par Anthony Roy, le 20 janvier 2025   22

La production d’électricité a connu ces dernières années des changements majeurs. Les sources d’énergie renouvelables sont de plus en plus utilisées pour répondre aux besoins de décarbonation de la production d’électricité et également des usages, avec l’intégration massive de panneaux solaires photovoltaïques et d’éoliennes sur le réseau. Cette production d’électricité est également de plus en plus décentralisée, avec des équipements de production installés en de nombreux points du réseau de distribution. Les panneaux solaires photovoltaïques sont un exemple de cette décentralisation, dont l’installation peut être couplée avec des infrastructures déjà existantes ou nouvelles (toitures, ombrières, etc.).

Cette décentralisation permet également l’autoproduction d’électricité par les usagers de différents secteurs (résidentiel, collectivités, industries, entreprises, etc.) et d’un point de vue sociétal, l’appropriation et le sentiment d’implication vis à vis enjeux liés aux questions énergétiques. Par ailleurs, la hausse des tarifs de l’électricité observée ces dernières années a renforcé ces tendances, les consommateurs recherchant à autoproduire leur électricité pour limiter l’achat d’électricité sur le réseau.

Néanmoins, l’investissement dans des sources de production d’électricité peut s’avérer onéreux selon les besoins à couvrir. La nature fatale de la production issue de sources renouvelables (fatale au sens où elle dépend des fluctuations des ressources naturelles exploitées) peut être contraignante pour satisfaire les besoins à alimenter, voire même aboutir à des situations de surplus de production si la production et la consommation ne surviennent pas au même moment. Ainsi, il peut s’avérer pertinent de mutualiser des équipements de production d’électricité renouvelable à une échelle locale (quartier d’une ville par exemple), afin de partager l’énergie produite par un ou plusieurs producteurs entre plusieurs consommateurs, et ce à un tarif attractif à la fois pour les producteurs et les consommateurs. Ces dernières années ont vu apparaître le concept de communautés d’énergie, visant à permettre le partage d’énergie à une échelle locale.

Qu’est-ce qu’une communauté d’énergie ?

Une communauté d’énergie est une organisation composée de producteurs et de consommateurs d’électricité, ayant pour objectif de permettre l’achat et la vente d’électricité produite à une échelle locale [1]. Différents cadres réglementaires à l’échelle européenne et nationale ont été définis ces dernières années [2]. Ainsi, plusieurs types de communautés sont possibles, les principales étant : communauté d’énergie renouvelable (renewable energy community), communauté d’énergie citoyenne (citizen energy community) et autoconsommation collective (collective self-consumption).

En France, actuellement, le type de communauté le plus fréquent est l’autoconsommation collective, défini par le Code de l’Energie [3]. Au sein de ce type d’organisation, des producteurs d’électricité peuvent vendre leur production d’électricité à des consommateurs situés à proximité, raccordés au réseau basse tension d’un unique gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité. L’opération est gérée par une personne morale organisatrice (PMO). L’énergie est attribuée entre les consommateurs au moyen d’une clé de répartition de l’énergie, selon des critères établis au préalable avant le démarrage de l’opération (exemple : coefficients statiques ou dynamiques, prorata de la consommation, etc.). La puissance cumulée des dispositifs de production d’électricité ne doit pas dépasser 3 MW. Les participants peuvent être situés soit dans un même bâtiment, soit dans des bâtiments distincts, auquel cas l’opération est qualifiée d’étendue. Un critère de proximité géographique est fixé par la réglementation, avec une distance maximum entre les participants les plus éloignés : 2 km dans un cadre urbain, 10 km dans le cas de communes rurales et périurbaines et 20 km si les participants sont situés dans des communes rurales [4]. En septembre 2024, il y avait 454 opérations d’autoconsommation collective en fonctionnement en France, impliquant 5731 participants (producteurs et/ou consommateurs) [5].

Exemple de communauté d'énergie sur un réseau de distribution d'électricité

Quelles sont les problématiques qui se posent ?

Plusieurs problématiques liées aux communautés d’énergie font l’objet de travaux de recherche actuellement. Elles concernent des aspects économiques, énergétiques mais aussi sociétaux.

L’une de ces problématiques concerne la répartition de l’énergie produite entre les consommateurs de la communauté. Elle peut suivre des règles et des critères de nature différente, comme par exemple un coefficient au prorata de la consommation (consommation du participant par rapport à la consommation totale), un coefficient fixe, des règles basées sur des critères économiques, etc. L’un des verrous réside dans le choix des règles de répartition et les critères considérés, tout en considérant le fait que certains participants puissent avoir des attentes différentes vis-à-vis de leur participation à la communauté. Un compromis doit donc être trouvé entre les attentes de chaque participant.

Par ailleurs, la communauté peut être composée de participants ayant des besoins énergétiques différents, en temporalité mais aussi en énergie demandée : tous les consommateurs n’ont pas les mêmes besoins et pas forcément au même moment, ce qui peut être souhaitable en termes de partage de l’énergie produite. Ces caractéristiques doivent être considérées dans le dimensionnement des équipements de production d’électricité, voire de stockage. Par ailleurs, l’existence de flexibilité sur la demande des consommateurs, par exemple l’anticipation ou le report de certaines consommations, peut permettre d’améliorer la complémentarité entre les participants. L’une des problématiques rencontrées concerne le degré de complémentarité entre les participants (consommateurs et producteurs) nécessaire pour la communauté au regard de ses objectifs et modalités de répartition de l’énergie, mais aussi de l’hétérogénéité des besoins (temporalité, énergie) et des flexibilités possibles.

La mise en place d’une communauté d’énergie implique par ailleurs de considérer plusieurs aspects économiques. Les participants doivent se mettre d’accord sur la tarification de l’électricité vendue par les producteurs aux consommateurs, en trouvant un compromis vis-à-vis des attentes parfois différentes selon les participants : les producteurs désirent vendre leur électricité à un tarif plus avantageux que celui de l’acheteur de surplus sur le réseau, tandis que les consommateurs souhaitent acheter l’électricité à un producteur local à un tarif moins élevé que celui de leur fournisseur classique. Aussi, pour les producteurs, la rentabilité des investissements réalisés dans les équipements de production d’électricité est à considérer dans la définition du tarif de vente. La question du partage des investissements au-delà des producteurs seuls peut aussi être à considérer. Ainsi, un compromis doit être trouvé entre ces différents aspects économiques lors de la phase de conception mais aussi de fonctionnement de la communauté.

Enfin, l’une des problématiques rencontrées concerne la robustesse des communautés vis-à-vis des évolutions possibles, qui doivent être considérées dès la phase de conception. Ces évolutions peuvent concerner par exemple la composition de la communauté qui peut être amenée à évoluer au fil des années, avec le retrait (ex : déménagement) ou l’ajout de participants, ou bien encore l’évolution des consommations des participants, à la hausse ou à la baisse (par exemple l’ajout de recharge de véhicules électriques pour certains participants). Ces évolutions peuvent remettre en question la pertinence des règles de répartition envisagées avant le démarrage de l’opération, ce qui implique dès les anticiper pour assurer la résilience de la communauté face aux évolutions structurelles.

Exemple de travaux scientifiques sur le sujet : le projet ADEME ESTUAIRE

Le projet ESTUAIRE (projet ADEME, 2020-2022), dont l’Institut de Recherche en Energie Electrique de Nantes Atlantique (IREENA) était l’un des partenaires, visait à étudier la valorisation d’énergie fatale disponible dans la zone industrialo-portuaire de Saint-Nazaire, à savoir la production d’électricité générée par des essais de groupes électrogènes et celle pouvant être obtenue par l’installation de panneaux solaires photovoltaïques sur les toitures de certains bâtiments de la zone portuaire [6]. Plusieurs solutions de valorisation ont été étudiées : l’utilisation en autoconsommation individuelle de l’électricité produite pour l’alimentation des consommations des bâtiments producteurs, la production d’hydrogène pour alimenter des besoins de mobilité terrestre et maritime, et également la partage de l’énergie à des consommateurs situés à proximité via le déploiement d’une opération d’autoconsommation collective.

Concernant cette dernière voie de valorisation, les travaux visaient à optimiser les règles de répartition de l’énergie au sein de la communauté [7]. Deux types de clés de répartition ont été étudiées et comparées. L’une était basée sur un coefficient au prorata de la consommation (ratio entre la consommation du participant et la consommation totale de la communauté), tandis que la seconde était basée sur une optimisation visant à attribuer l’énergie produite autant que possible aux consommateurs ayant le tarif d’achat d’électricité le plus élevé, de manière à maximiser les revenus pour les producteurs et permettre de diminuer le temps de retour sur investissement sur les équipements de production envisagés. Par ailleurs, une optimisation du dimensionnement des panneaux solaires photovoltaïques et des batteries a été formulée. Les résultats ont permis de montrer l’intérêt d’une opération d’autoconsommation collective pour valoriser un surplus de production, plutôt que le stockage dans des batteries (il s’avère plus rentable de vendre l’énergie à des consommateurs voisins au moment où elle est produite, plutôt que de stocker l’énergie dans des batteries pour un usage individuel, au regard des coûts d’investissement et de remplacement de celles-ci).

Illustration de l'opération ACC étudiée dans le projet ADEME ESTUAIRE

En conclusion

Les communautés d’énergie, et en particulier l’autoconsommation collective, font l’objet de nombreux travaux de recherche pluridisciplinaires ces dernières années, portés par l’intérêt croissant pour ces organisations au regard des enjeux de transition énergétique, de décarbonation de la production et des usages mais aussi de la hausse des tarifs de l’énergie. Ces travaux de recherche se concentrent notamment sur les problématiques liées à la répartition de l’énergie entre les participants, pour laquelle des critères de nature différente peuvent être considérés (énergétique, économique, social), et ce tant au niveau individuel que collectif. Dans ces travaux, des approches méthodologiques sont proposées pour l’optimisation et l’aide à la décision sur les problématiques de gestion de l’énergie et de dimensionnement. Ces travaux permettent également une production de connaissances sur les facteurs d’influence, tel que les hypothèses économiques, le cadre réglementaire, etc.

A l’avenir, il est envisagé des travaux de recherche sur les communautés d’énergie intégrant les usages mobilité, la flexibilité, la question du partage des investissements, l’évolution des communautés sur le long-terme, etc.

Références bibliographiques

[1] G. Walker, P. Devine-Wright, 2008, Community renewable energy: What should it mean? Energy Policy, p.497-500, https://doi.org/10.1016/j.enpol.2007.10.019

[2] D. Frieden, A. Tuerk, J. Roberts, S. d’Herbemont, et A. Gubina, « Collective self-consumption and energy communities: Overview of emerging regulatory approaches in Europe », H2020 funded project Compile, 2019. Consulté le : 11 mars 2022. [En ligne]. Disponible sur : https://www.compile-project.eu...

[3] Article L. 315-2 du code de l’énergie portant sur l’autoconsommation (version consolidée du 3 mars 2021)

[4] Arrêté du 21 novembre 2019 fixant le critère de proximité géographique de l’autoconsommation collective étendue (JORF n°0273 du 24 novembre 2019).

[5] Enedis, Autoconsommation collective d'électricité en France, https://data.enedis.fr/pages/autoconsommation-collective/, Consulté le : 20 septembre 2024

[6] J.-C. Olivier, A. Roy, F. Auger, S. Bourguet, B. Auvity, E. Schaeffer. Projet Estuaire : décarbonation de la zone industrialo-portuaire du port de Nantes – St Nazaire. 2023, https://hal.science/hal-04585372

[7] A. Roy, J.-C. Olivier, F. Auger, B. Auvity, S. Bourguet, E. Schaeffer, « A comparison of energy allocation rules for a collective self-consumption operation in an industrial multi-energy microgrid », Journal of Cleaner Production, p. 136001, fev. 2023, https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2023.136001

A propos de l’auteur :

Anthony Roy est lauréat du programme PULSAR sur la période 2023-2025, soutenu par la Région Pays de la Loire et Nantes Université (soutien financier aux jeunes chercheurs et chercheuses). Il est Maître de Conférences en Génie électrique à Nantes Université depuis septembre 2022, précisément au laboratoire IREENA (Institut de Recherche en Energie Electrique de Nantes Atlantique) et à l’IUT de Saint-Nazaire au Département Génie Industriel et Maintenance. Ses activités de recherche concernent le dimensionnement et la gestion de l’énergie de micro-réseaux multi-énergies (électrique et hydrogène) ainsi que des communautés d’énergie. Il a participé et participe actuellement à plusieurs projets collaboratifs (FlexTASE dans le cadre du PEPR TASE, OPTILE, collaboration avec le CEA Tech, SYSTER). Entre 2020 et 2022, il a contribué au projet collaboratif ESTUAIRE (ADEME) sur les problématiques d’optimisation de la gestion et du dimensionnement d’une opération d’autoconsommation collective pour une zone industrialo-portuaire. Il est également lauréat de l’AAPG 2024 de l’ANR (dispositif JCJC : Jeunes Chercheurs Jeunes Chercheuses), avec le projet OSIRMEH (Optimisation Sous Incertitudes de stations de Recharge pour Mobilité Electrique et Hydrogène) dont il est le coordinateur. Il co-encadre actuellement deux thèses de doctorat et a encadré 4 stages master recherche. Il est l’auteur de 6 articles de revues internationales et 6 articles de conférences internationales.

Lien HAL : https://cv.hal.science/anthony-roy