Quand l’université donne à voir et à éprouver ce qu’est la recherche : deux espaces complémentaires : l’Xperium et le Gum

Publié par Céline Gillani-Neau, le 6 février 2025   86

Janvier 2025 : une délégation nantaise part sur les rails, direction l’est, pour découvrir deux lieux qui donnent à voir ce qu’est la recherche, chacun à leur manière : l’Xperium à Lille et le GUM à Gand.

Retour sur ce qui nous a marqué, en dehors de la carbonade !

L’Xperium

LILLIAD – Campus scientifique - Université de Lille

Mardi après-midi, nous commençons à distinguer la rotonde de LILLIAD, le Learning Center de l’Université de Lille. Le bâtiment date de 1965 et a été rénové et étendu il y a 10 ans, pour accueillir une bibliothèque universitaire augmentée. On y trouve à présent une BU épurée et lumineuse, un amphithéâtre, et l’espace qui nous intéresse au rez-de-chaussée : l’Xperium! Autour, les bâtiments de la Cité scientifique et le serpent de béton du métro automatique lillois.



Petit voyage en arrière : dans les années 2010, les universités lilloises sont déjà présentes sur la scène de la culture scientifique. Elles proposent des actions au public, notamment lors de la Fête de la Science. Chaque mois d’octobre est rempli de moments géniaux qui rassemblent les visiteur.ses et les acteur.ices de la recherche. Mais une fois l’événement terminé, comment retrouver tout cela ? C’est la question qui anime Jean Cosléou - professeur de physique de l’université. La rénovation à venir des bâtiments ouvre la place à une envie : et si un espace pérenne était dédié à la valorisation de la recherche ? Le directeur des bibliothèques est partant pour le projet, nous sommes en 2014 et c’est parti pour l’aventure Xperium !

Ce qui nous intéresse : entre l’idée de départ et l’ouverture réelle du lieu, deux années d’expérimentation se sont écoulées. L’envie était là, le contenu également, restait à convaincre et à faire ses preuves. Cela tombait bien, une partie du bâtiment fut mise à disposition de l’Xperium qui a ainsi pu tester ses activités et montrer l’intérêt de ce nouvel objet. Lorsque les locaux furent prêts en 2016, Xperium avait déjà un modèle de fonctionnement en place, l’essentiel était rôdé. Et les financements, notamment régionaux, au rendez-vous.

A noter : Xperium donne à voir la recherche à travers des rencontres humaines. Chaque classe de lycéen.nes navigue entre différents stands qui sont présentés par une personne qui fait de la recherche. La classe est divisée en sous-groupes pour plus de confort et 3 personnes sont donc nécessaires a minima pour chaque visite. Comment assurer cela ? Xperium sollicite une vingtaine de doctorant.es par saison, rémunéré.es pour l’occasion. Cela leur permet à la fois de valoriser leur recherche, de rencontrer du public, mais également de développer de nouvelles compétences, reconnues par un système d’Open Badges. Il s’agit d’une expérience concrète de médiation scientifique, dans un cadre propice à l’échange, non intimidant.

Pour finir : Xperium construit chacune de ses saisons en partant d’un thème interdisciplinaire, afin de pouvoir faire dialoguer des laboratoires issus de différents pôles. En 2024-2025, le thème du sport était mis en avant. Nous avons ainsi pu suivre à la fois un doctorant en sociologie qui évoquait la pratique sportive féminine dans les milieux populaires, un doctorant en informatique qui étudie comment des capteurs peuvent optimiser les cycles de nage. Le format et les outils sont les mêmes : une cloison en L qui sert de panneaux de texte et qui permet l’accrochage d’un écran, des chaises disposées devant. Simple mais efficace, et réutilisable d’une saison à l’autre ! La médiation scientifique rejoint la sobriété et le ré-emploi.

Les petits plus bien pensés :

Une salle Nocturama, dont les surfaces ont été peintes en noire, pour permettre notamment des manips d’optique / des cloisons vitrées qui permettent de voir ce qui se passe de l’extérieur, habillées de vitrophanies qui évoluent au fil des saisons / une localisation à l’entrée du bâtiment, pour servir de vitrine à l’université

Le GUM

Genth University Museum – Gand, Belgique

Mercredi matin, après une petite soirée dans les magnifiques rues lilloises, nous partons de bon matin en terre flamande pour découvrir le GUM, à 10 minutes à pied de la gare de Gand.

L’Université de Gand a une histoire de plus de 200 ans, 21 campus, 400 000 objets patrimoniaux de toutes disciplines confondues… Il y a de quoi se sentir petit ! En 2020, elle ouvre un musée : le GUM, dans un bâtiment de la faculté de sciences qui continue d’abriter également des laboratoires et des salles de cours.

Aujourd’hui, tout paraît naturel : des réserves en sous-sol avec des collections inventoriées et accessibles, trois salles d’expositions aux étages, des vitrines qui rassemblent des objets pédagogiques et de recherche autour d’un discours bien construit sur le processus scientifique et les portées du doute. Comme dit la maxime, « doubt grows with knowledge » !, le doute grandit avec la connaissance.

Difficile de croire qu’il y a moins de 15 ans, les collections étaient alors complètement dispersées et la plupart des objets méconnus. Pourtant, un groupe de 6 personnes, dont Marjan Doom, la directrice actuelle du GUM, pressentait le potentiel de ces collections et commençait à rêver à leur rassemblement. Des premières actions en lien avec des artistes eurent lieu et l’université, qui réfléchissait alors à une rénovation générale des campus, décida de lancer une étude de préfiguration.

Le musée universitaire aurait pu devenir un musée de sciences, regroupant des collections et donnant à voir les connaissances établies sur chacun des différents domaines. Il aurait pu parler de l’histoire des sciences et faire la démonstration de certains principes scientifiques via des manipulations qui auraient été plébiscitées par petit.es et grand.es.

Marjan Doom se lança sur une piste complètement différente et ouvrit en 2020 le GUM, Forum de la Science, du Doute et de l’Art.

On n’en sort pas indifférent.

Tout d’abord, car le lieu est feutré, l’éclairage et la muséographie mettent parfaitement en avant les collections, on entre dans un espace à part.

Ensuite parce qu’on y fait des rencontres avec des objets que Marjan Doom qualifie de « chargés ». Un modèle anatomique en cire d’un visage atteint de lèpre tuberculeuse fait par exemple son petit effet.

Mais surtout, une fois ces premières impressions dépassées, on entre peu à peu dans le contenu et le propos du musée et tranquillement, ça s’éclaire ! Un planisphère nous montre la terre avec la Chine au centre. Juste à côté, un modèle anatomique de grossesse en 3D nous présente un fœtus à la couleur de peau foncée. Pas de cartels. Un simple numéro près des objets. Pourquoi les a-t-on agencés ensemble ? La lecture du contenu sur un discret écran à proximité rend tout limpide : la façon de transmettre des connaissances n’est pas neutre. On s’appuie sur des modèles qui traduisent la façon dont on perçoit le monde. Nous commençons à saisir en quoi le GUM parle de recherche et de science de façon novatrice !

Autre exemple : une longue plaque de verre est fissurée à divers endroits. A ses côtés : une sculpture africaine représente des jumeaux rassemblés par leur poitrine. La plaque de verre est un prototype utilisé par un laboratoire qui teste la résistance des matériaux. Le nombre et la taille des fissures permettent de chiffrer sa résistance. La sculpture représente l’amour équivalent qu’une mère donne à ses enfants. Ces objets sont rassemblés dans l’espace consacré à la mesure. "En effectuant des mesures, les scientifiques essaient de saisir la réalité sous forme de chiffres objectifs. (…) Mais on pourrait se demander si tout peut être mesuré. (…) Peut-on qualifier l’amour."



Le GUM lie ainsi des objets issus de collections patrimoniales, des créations artistiques, des prototypes de laboratoire, afin de questionner et d’interpeller son public sur ce qu’est la recherche et ce que sont ses processus (récolter, mesurer, modéliser, imaginer… avec des épreuves pour toutes ces opérations). Nous ressortons plein de questions et avec cette impression d’avoir touché du doigt des choses essentielles.

Les petits plus bien pensés :

La constitution d’un groupe d’étudiant.es qui sont ambassadeur.ices du musée / l’apport des artistes qui viennent donner un regard différent sur le propos des expositions / les expériences participatives qui sont conçues avec les laboratoires et proposées dans l’exposition / Une charte graphique singulière, reprise dans l’ascenseur pour passer de l’accueil aux salles à l’étage

Après quelques heures sur place, nous repartons un peu sonnés, avec une furieuse envie de pouvoir retrouver ce lieu rapidement et de continuer les échanges entamés. Il nous faudra un Eurostar et un TGV pour remettre les pieds à Nantes et nous sortir de ces visites inspirantes. Le voyage nous a permis de continuer à explorer ensemble comment un lieu comme Nantes Université pourrait demain jouer pleinement son rôle sociétal en ouvrant un lieu de culture scientifique. Affaire à suivre !

Un immense merci à Jean Cosléou et Corinne De Munain de l’Xperium, ainsi qu’à Marjan Doom, Jeroen Vanden Berghe et Fien Ysebie du GUM pour la visite et les échanges.

Voyage réalisé en la présence de Laurent DEVISME, Yann MARCHAND, Rozenn TANGUY et Céline GILLANI - Nantes Université

Écriture de l'article : Laurent DEVISME et Céline GILLANI

Crédits photo : Yann MARCHAND, Rozenn TANGUY, Céline GILLANI