Pourquoi les scientifiques s’intéressent à l’impact environnemental des épaves de navires

Publié par Hélène Biton, le 21 octobre 2024   280

Pourquoi les scientifiques s’intéressent à l’impact environnemental des épaves de navires

Benjamin Orban, Nantes Université

Marées noires, déversement de substances toxiques, relargage de munitions… Les épaves peuvent avoir un impact néfaste sur l’environnement, parfois plusieurs décennies après les naufrages des navires.


Des dizaines de milliers d’épaves de navires reposent aux fonds des mers et des océans du monde. Si elles ont longtemps été perçues comme des vestiges historiques ou des havres de biodiversité, leur impact environnemental attire de plus en plus l’attention des scientifiques.

Cela pourrait paraître anecdotique, la majeure partie de la pollution marine étant d’origine terrestre (déversement des fleuves, lessivage des sols, retombées atmosphériques). Cependant, alors que la caractérisation de l’exposome marin constitue aujourd’hui une dimension importante de la recherche, et alors que la préservation de la biodiversité est devenue une priorité mondiale, les épaves, de par leur quantité et du fait qu’elles constituent de véritables « hotspots » de biodiversité, suscitent à juste titre un intérêt croissant.

À la suite de la marée noire en 2001 causée par l’épave du tanker américain USS Mississinewa coulé en 1944 dans l’État de Yap en Micronésie, la problématique de la pollution par les épaves de navires, jusque-là marginale, a commencé à être prise au sérieux par les gouvernements et scientifiques. Depuis, près de 8 600 épaves potentiellement polluantes ont été identifiées. Les restes d’hydrocarbures encore présents dans les cuves des navires représentent le risque principal. Avec la dégradation des épaves, les risques se font de plus en plus pressants, et malgré un nombre non négligeable de campagnes de récupération de pétrole sur les épaves, il est certain qu’une grande quantité d’hydrocarbures continuera à être libérée dans les prochaines décennies.

Fuite de pétrole sur l’épave de l’USS Mississinewa. US Navy 2004

Au-delà du risque de fuite d’hydrocarbures, quel est l’impact de ces épaves sur l’environnement ?

Les épaves sont mentionnées comme sources de pollution d’origine marine dans la Vision 2030 de la Décennie de l’Océan des Nations unies (Challenge 1). Dès 2016, près de 70 substances polluantes pouvant être relarguées par une épave ont été identifiées dans un rapport de la Commission européenne.

Certaines de ces substances sont particulièrement toxiques dans l’environnement marin, comme le TBT (antifouling appliqué sur les coques des navires), les PCB (utilisés dans la construction navale à partir des années 1940, notamment pour l’isolation des câbles électriques), les HAP (molécules persistantes et toxiques présentes dans les produits pétroliers), les composés explosifs (venant des munitions présentes en grand nombre dans les épaves militaires) et les métaux lourds (mercure, plomb, cadmium) dont les sources sur les navires peuvent être très variées.

Un type d’épave a particulièrement attiré l’attention des scientifiques : celles de navires militaires, principalement de la Seconde Guerre mondiale. Ces épaves se trouvent en très grand nombre, et sont souvent des vestiges de navires imposants, pouvant contenir d’importantes quantités de substances toxiques.

L’exemple emblématique est celui du sous-marin U-864 en Norvège, coulé en 1945 alors qu’il transportait 65 tonnes de mercure. Le cas du s/s Stuttgart en est un autre. L’épave de ce navire-hôpital coulé en 1943 dans la baie de Gdansk en Pologne a pollué les fonds marins au fuel lourd sur des centaines de mètres autour de l’épave. Cependant, d’autres études, portant par exemple sur le Royal Oak en Écosse ou sur d’autres épaves plus récentes en Méditerranée, ne montrent pas d’impact négatif réel sur les écosystèmes, mais une composition chimique et bactérienne différente des sols due à la présence de l’épave.

Cependant, un changement de la composition chimique des sols peut avoir des conséquences négatives sur un écosystème, particulièrement quand celui-ci est naturellement pauvre en certains éléments. Dans les îles de la Ligne dans le Pacifique et dans l’archipel de Saint Brandon dans l’océan Indien, les épaves échouées sur les récifs coralliens ont provoqué une forte mortalité des coraux. Le taux de présence des coraux a parfois été réduit à moins de 10 % sur les récifs alentour.

Dès le début des années 1980, l’US Navy, aux côtés de l’agence de protection de l’environnement américaine (US EPA) a pointé du doigt la présence de substances toxiques dans des navires utilisés lors d’exercices de tir. Son programme, le SINK-EX, avait été volontairement suspendu du fait de la découverte de PCB dans des matériaux solides présents sur les navires, malgré une dépollution préalable. Entre 1996 et 1999, une série de campagnes de prélèvements sur l’ex-Agerholm, navire du SINK-EX, mettra en évidence dans les sédiments proches de l’épave des concentrations plus importantes en PCB, et des concentrations au-dessus des seuils sanitaires pour le cadmium, le chrome, le cuivre, le zinc et le nickel. En 2004, un rapport de l’US EPA annulera l’envoi de l’USS Crescent City en Chine, où il devait être démantelé et recyclé suite à la découverte d’importante quantité de PCB.

Et les épaves comme récifs artificiels ?

Ces navires de guerre, devenus obsolètes, ont aussi été utilisés comme récifs artificiels, pour promouvoir la protection de la biodiversité et le développement économique. L’État de Floride aux États-Unis a extensivement développé des projets de récifs artificiels, dont des épaves, à des fins récréatives. Cela a été le cas avec l’USS Oriskany, ancien porte-avions coulé en 2006 pour servir de récif. Cependant, les analyses toxicologiques effectuées sur la faune venue séjourner sur l’épave ont révélé des concentrations en PCB jusqu’à mille fois supérieures au seuil sanitaire durant les deux premières années après l’immersion du navire.

Épave de l’USS Oriskany. Dr. Dive/Florida Dive Pros

Concernant la colonisation des épaves par la faune marine, les données acquises lors des quelques recensements de faune sur les épaves de navires restent discutables en termes de préservation de la biodiversité. Les études montrent une plus grande quantité de poissons sur les épaves, mais une diversité plus faible que sur les récifs naturels. Mais la faible quantité d’études comparatives ne permet pas de dire si c’est le cas sur la plupart des épaves utilisées comme récifs artificiels. D’autres points positifs peuvent être soulignés, comme la présence d’espèces rares ou en danger. Le développement de l’ADN environnemental dans les études de distribution de la biodiversité permettra d’obtenir plus de données dans un avenir proche.

Le cas des munitions de guerre

L’impact des substances explosives sur les écosystèmes marins a gagné l’intérêt des chercheurs depuis une décennie. La grande quantité de munitions contenues dans les épaves et les dépôts de munitions post-conflits mondiaux font que ces vestiges sont particulièrement surveillés.

Débuté en 2018, le projet de recherche North Sea Wrecks s’est intéressé pour la première fois aux munitions présentes dans les épaves et à leur potentiel de contamination. Il a mis en évidence un lent relargage de substances explosives depuis les munitions, et leur pénétration dans différents compartiments environnementaux (biote et sédiments).

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Les composés comme la TNT sont biodisponibles (ils peuvent s’accumuler dans les organismes) et se retrouvent dans la faune vivant à proximité des munitions. Ils peuvent avoir des effets sur les larves et embryons, et déclencher des stress oxydatifs causant des dommages aux cellules et tissus, jusqu’à provoquer des tumeurs sur certains poissons, comme observé sur le site de Kolberge Heide dans la mer Baltique.

Encore trop peu d’études…

S’il est avéré que l’échouage ou le naufrage d’un navire peut avoir de graves conséquences sur un écosystème, la question des épaves historiques, notamment de la Seconde Guerre mondiale, reste sans réponses concrètes. Les données acquises aujourd’hui ne permettent pas d’observer si ces vestiges peuvent encore contribuer dans leur ensemble à des contaminations de l’environnement marin.

En France, le projet CONTEPAV, porté par le Groupement de recherche océan et mers du CNRS, l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, Nantes Université (CReAAH, ISOMer), et en collaboration avec l’unité Contamination chimique des écosystèmes marins de l’IFREMER, cherche à acquérir des données à la fois sur le potentiel de contamination actuel et l’impact environnemental des épaves sur le long terme. Les premiers résultats sont prévus pour l’année 2025.


Déploiement d’échantillonneurs passifs sur des caisses de munitions. Plongeur : Benjamin Orban (GdR OMER-CNRS). Yael Serre/GSLC

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.The Conversation

Benjamin Orban, Doctorant CNRS-Groupement de Recherche Océan & Mers (OMER), Nantes Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.