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Oksana Krupka, quand la chimie des polymères rencontre la médecine de précision

Publié par EchoSciences Pays de la Loire, le 8 mars 2025   1k

Oksana Krupka, enseignante-chercheuse à l’Université d’Angers, explore de nouvelles approches thérapeutiques grâce aux nanotechnologies. Titulaire d’une Chaire de Professeure Junior depuis 2022, elle mène ses recherches au sein du laboratoire MINT pour développer des nanocapsules à base de polymères capables d’améliorer l’efficacité des traitements anti-cancéreux.

Dans le domaine du biomédical, les nanotechnologies ouvrent de nouvelles perspectives. Bien que leur apparition reste récente, la santé et la médecine s’en sont emparées pour différentes applications comme l’imagerie, les analyses, les biomatériaux, et les nanomédicaments. C’est précisément sur ces derniers qu’Oksana Krupka concentre ses recherches.

Enseignante-chercheuse à l’Université d’Angers en chimie macromoléculaire, elle a obtenu en 2022 une Chaire de Professeure Junior financée par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) et a engagé des recherches au sein du Laboratoire MINT (Micro et Nanomédecines Translationnelles), en collaboration avec le Laboratoire Moltech Anjou. Son objectif est de développer de nouvelles nanocapsules pour vectoriser des molécules anti-cancéreuses afin d’améliorer leur efficacité et leur ciblage.

Angers n’est pas une terre inconnue pour Oksana. Déjà en 2006, elle y avait réalisé un post-doctorat au sein du Laboratoire Moltech Anjou avant de retourner en Ukraine pour poursuivre ses recherches à l’Université de Kyiv. Longtemps, ses travaux se sont focalisés sur le développement de nouveaux matériaux pour des applications en optoélectronique. Une expertise qui lui a valu, en 2019, le prix L’Oréal-UNESCO Women In Science en Ukraine, récompensant l’excellence de ses recherches. Aujourd’hui, elle met cette expertise au service du biomédical, apportant un regard nouveau pour le développement de nanoparticules à base de polymères.

Mon expérience des matériaux me permet d’explorer de nouvelles applications et d’envisager des pistes intéressantes dans le domaine biomédical.

Les nanotechnologies, un nouveau pan de la médecine

À l’échelle de l’infiniment petit, les nanotechnologies se mesurent en millionièmes de millimètre. Un nanomètre est l’équivalent de 0,000000001 mètre, soit la taille d’une petite molécule organique. A cette taille, la matière adopte des propriétés inédites, qui n’existent pas à plus grande échelle et qui peuvent être exploitées dans de nombreux domaines. En médecine, ces caractéristiques sont mises à profit pour concevoir des nanomédicaments, capables de cibler précisément les tissus malades tout en réduisant leur toxicité pour les cellules saines. Une approche particulièrement précieuse en oncologie, où l’enjeu est de détruire les cellules tumorales en épargnant les cellules saines.

C’est dans cette perspective qu’Oksana consacre ses recherches au développement de nanocapsules, qui sont des minuscules structures utilisées pour transporter des médicaments dans l’organisme. Celles-ci sont souvent fabriquées à partir d’un polymère appelé polyéthylène glycol (PEG). Ses propriétés hydrosolubles, c’est-à-dire solubles dans l’eau, en font un produit très utilisé dans les industries cosmétique et médicale. Cependant, ce polymère présente l’inconvénient de « s’accumuler dans l’organisme et peut provoquer une réponse immunitaire indésirable ». Pour surmonter cette limite, les scientifiques explorent de nouvelles alternatives. Oksana cherche ainsi à développer des nanocapsules conçues avec un autre polymère, de la famille des polyoxazolines, qui offre une meilleure biocompatibilité et pourrait améliorer l’efficacité des traitements anti-cancéreux.

Échantillons de nanoparticules d'or (40 nanomètres) recouverts par des polyoxazolines.

Grâce aux polyoxazolines, il est possible de concevoir divers systèmes pour transporter les médicaments dans l’organisme. Parmi eux, les nanocapsules lipidiques, capables d’encapsuler des substances hydrophobes – normalement insolubles dans les milieux biologiques – pour les acheminer directement vers les tissus cancéreux. Une autre approche, consiste à utiliser des nanoparticules d’or entourées de polyoxazolines. Cette technique améliore le ciblage et l’efficacité des traitements contre certains cancers comme le mélanome, un cancer de la peau.

C'EST QUOI LES POLYMÈRES ? 
« Les polymères, c'est un peu comme des spaghettis. Ils ont des tailles et des flexibilités variées, ce qui leur confère des propriétés différentes »
Les polymères sont de grandes molécules composées à base de petites unités appelées « monomères ».
• Il existe des polymères naturels issus du végétal comme l’amidon que l’on retrouve dans les pommes de terre ou le riz, ou animal comme la kératine que l’on retrouve dans nos cheveux, les ongles et la laine. 
• Les polymères artificiels sont des polymères naturels modifiés chimiquement pour adapter leurs propriétés chimiques à un usage spécifique, comme la nitrocellulose, dérivée de la cellulose, qui possède des propriétés explosives et est utilisée dans des munitions.
• Et enfin les polymères synthétiques créés par l’Homme, obtenus par un processus chimique appelé polymérisation, souvent à partir du pétrole. Un exemple est la colle « super-glue », utilisée dans des industries comme l’automobile, le ferroviaire ou l’aéronautique.

« On peut facilement modifier ce polymère et lui donner des propriétés spécifiques », explique Oksana. Cette flexibilité permet de concevoir des nanocapsules intelligentes, capables de réagir à la chaleur ou à la lumière pour mieux s’adapter aux conditions particulières des cellules tumorales. Car dans les tissus cancéreux, les cellules évoluent dans un environnement propre, différent de celui des cellules saines.

Nanocapsules lipidiques (50 nanomètres) formulées avec des polyoxazolines

Pourquoi c’est important ? Si nous développons un système de libération de médicaments activé de l’extérieur (par exemple la lumière) ou de l’intérieur (comme par le pH ou la température) du corps, nous pourrons mieux contrôler l’administration du traitement directement dans la cellule tumorale.

Les recherches d’Oksana ouvrent ainsi la voie à des nanocapsules plus sûres et plus précises, conçues pour des traitements ciblés contre le cancer. En misant sur des systèmes de libération sensibles à l’environnement tumoral, ces avancées promettent une meilleure efficacité thérapeutique tout en réduisant les effets secondaires.

Les nanoparticules d'or entourées de polyoxazolines (entourées en bleu) qui sont intégrées dans des cellules tumorales.

Un projet interdisciplinaire

Ce projet de recherche s’inscrit pleinement dans une dynamique interdisciplinaire, mobilisant plusieurs domaines scientifiques. Grâce à l’obtention de la Chaire Professeure Junior, financée par l’ANR, Oksana a désormais la possibilité de recruter deux post-doctorants pour l’accompagner dans ce projet de quatre ans. Elle a bénéficié également du soutien de l’Université d’Angers et d’Angers Loire Métropole pour le recrutement d’un doctorant.

Au-delà de ces soutiens locaux, Oksana inscrit également son travail dans un réseau scientifique européen. Elle a obtenu un financement européen pour recruter un post-doctorant pour deux ans afin de développer avec elle cette thématique de recherche. Elle continue à collaborer avec un collègue physicien de son université d’origine à Kyiv, celui-ci se concentrant sur les aspects fondamentaux des nanoparticules d’or. Oksana a aussi établi de nouvelles interactions avec des collègues biologistes de l’Université de Lviv en Ukraine et un autre laboratoire en Pologne.

Je pense que c’est un vrai atout pour les projets de recherche de pouvoir les construire de manière interdisciplinaire. Ce n’est pas seulement de la chimie, de la biologie ou de la physique, tout interagit ensemble. C’est génial lorsqu’on peut construire un projet en combinant des disciplines complémentaires.

Grâce à ses travaux, Oksana Krupka souhaite exploiter le potentiel des nanotechnologies dans le domaine biomédical. En combinant chimie, biologie et physique, ses recherches offrent une véritable alternative au polyéthylène glycol, avec des solutions de traitements plus ciblés, plus efficaces et mieux tolérés par les patients. Un projet interdisciplinaire, à la croisée des innovations scientifiques, qui pourrait ainsi contribuer à façonner de nouvelles stratégies thérapeutiques contre le cancer.

Article écrit par Maéna Gérault pour EchoSciences Pays de la Loire