Les objets connectés peuvent-ils nous aider à réduire les impacts environnementaux des bâtiments ?
Publié par Marie-Lise Pannier, le 24 mars 2025 110
par Marie-Lise Pannier et Clémence Lagarde
Nos logements contiennent de plus en plus d’objets connectés à internet que nous utilisons au quotidien pour communiquer, nous divertir, ou encore contrôler à distance nos appareils… Certains de ces objets, tels que les thermostats connectés, sont conçus pour nous aider à réduire notre consommation d’énergie tout en maintenant un bon niveau de confort. Les gains énergétiques promis peuvent être significatifs. Étant donné que le secteur du bâtiment est responsable de plus de 35 % de la consommation d’énergie mondiale [1], ces appareils connectés sont a priori favorables pour réduire nos usages énergétiques. Toutefois, les gains énergétiques peuvent varier selon le contexte d’usage, et ces appareils consomment eux-mêmes de l’énergie pour fonctionner. De plus, leur fabrication a nécessité d’utiliser de nombreuses ressources, et un recyclage n’est pas toujours possible en fin de vie. Ainsi, il convient de se demander si les bâtiments équipés d’objets connectés pour réduire leur consommation d’énergie sont vraiment bénéfiques sur le plan environnemental. Pour répondre à cette question, des bâtiments connectés ont été comparés à leurs équivalents non connectés en considérant plusieurs critères environnementaux et l’ensemble des étapes du cycle de vie des bâtiments et de leurs objets connectés.

Figure 1: Comparaison d'un bâtiment connecté (à gauche) à son équivalent non connecté (à droite) en suivant l'approche d'analyse de cycle de vie. La comparaison se fait en considérant plusieurs indicateurs environnementaux et toutes les étapes de cycle de vie.
Pour réaliser la comparaison des versions connectées et non connectées d’un bâtiment, nous avons employé la méthode d’analyse de cycle de vie (ACV). L’ACV est une méthode permettant d’évaluer les nombreux impacts environnementaux d’un produit ou d’un procédé sur l’ensemble de son cycle de vie (extraction des matières premières, fabrication des matériaux, transport, construction, utilisation, et fin de vie) [2,3]. C’est une approche d’évaluation globale des impacts environnementaux qui vise, lors d’un choix entre deux alternatives d’un même produit, à éviter les déplacements de pollution d’une problématique environnementale vers une autre (réduction des impacts associés à la couche d’ozone, mais forte augmentation des effets sur le changement climatique), ou encore d’une étape du cycle de vie vers une autre (réduction des impacts en fabrication qui entraine une augmentation plus forte des impacts lors de l’utilisation). L’ACV est utilisée dans le secteur du bâtiment depuis une trentaine d’année [4], et son application est devenue obligatoire en 2022 pour les nouvelles constructions en France avec la réglementation énergétique et environnementale RE2020 [5,6].
Pour répondre à la question de l’intérêt environnemental d’installer des objets connectés, nous avons comparé les résultats d’ACV de trois améliorations possibles d’un même bâtiment, à l’aide d’un logiciel dédié permettant d’évaluer les besoins de chauffage et les impacts environnementaux du bâtiment sur son cycle de vie (comprenant l’impact des matériaux constructifs, des usages énergétiques, et des objets connectés installés). Le bâtiment étudié est une tour d’habitation de 17 étages construite dans les années 1970 dans le sud-ouest de la France. Cette tour, dont les façades ne sont pas isolées, possède un système de chauffage collectif au gaz.

Figure 2: Comparaison de la version initiale du bâtiment (BASE), aux trois améliorations possibles (SUIVI, GESTION et RÉNOVÉ). Les calculs de besoins de chauffage et les ACV sont réalisées avec le logiciel PLEIADES.
Les trois améliorations étudiées sont les suivantes :
- Alternative 1, dite SUIVI : il s’agit du bâtiment initial, très faiblement isolé, dans lequel des objets connectés (thermostats connectés) sont installés. Ils permettent aux habitants de recevoir des informations sur leurs consommations énergétiques et de les conseiller sur la manière de faire des économies. Il a été estimé que ce type de dispositif pouvait engendrer des économies d’énergie d’environ 10 % [7].
- Alternative 2, dite GESTION : cette alternative est semblable à l’alternative SUIVI, mais des objets connectés supplémentaires sont ajoutés pour optimiser le fonctionnement de la chaudière en fonction des variations liées la météo et à l’usage du bâtiment. Cette régulation permet une diminution de la consommation de 20 % supplémentaires. En cumulant ces gains à ceux de la seconde alternative (SUIVI), cela porte les gains attendus à 30 %.
- Alternative 3, dite RÉNOVÉ : le bâtiment est entièrement rénové, ce qui permet de réduire les besoins de chauffage. En revanche, cette alternative ne contient aucun objet connecté. Les économies d’énergie sont donc exclusivement liées à la rénovation énergétique.
Les résultats d’ACV des trois alternatives seront également comparées au bâtiment existant :
- Alternative 0, dite BASE : il s’agit du bâtiment initial. Aucun objet connecté n’y est installé et aucune économie d’énergie n’est comptabilisée.
Pour réaliser l’ACV, les impacts environnementaux de tous matériaux et équipements techniques ont été évalués sur le cycle de vie complet du bâtiment. En particulier, pour les alternatives SUIVI et GESTION, les impacts de la fabrication et du remplacement des objets connectés sont ajoutés, de mêmes que les impacts de l’envoi et du stockage des données sur des serveurs. Pour l’alternative RÉNOVÉ, les impacts des matériaux remplacés ou ajoutés sont aussi comptabilisés. La méthode d’évaluation des impacts se base sur un inventaire quantitatif des différentes matériaux ou procédés formant le système étudié (par exemple : masse de béton pour la structure du bâtiment, surface de circuit imprimé pour les capteurs, …). Les matériaux ou procédés doivent être référencées dans des bases de données environnementales, pour connaître leur impact (par exemple : kg de CO2 émis par kg de béton). Cela permet de procéder au calcul des impacts environnementaux du système.
Une partie des résultats de ces analyses est présentée dans la figure ci-dessous. Nous avons sélectionné quatre indicateurs environnementaux : le changement climatique, l’épuisement des ressources, l’énergie consommée, et les déchets produits. L’ensemble des résultats est disponible dans l’article d’origine [8].

Figure 3: Comparaison des améliorations du bâtiment en considérant plusieurs thématiques environnementales.
Pour chacun des indicateurs, un diagramme à barres représente l’impact environnemental de chaque alternative étudiée (dans l’ordre BASE, SUIVI, GESTION et RÉNOVÉ) par rapport au bâtiment initial. En effet, le scénario BASE sert de référence, ainsi sa valeur est normalisée à 100% et l’impact des autres alternatives est rapporté à cette référence. Par ailleurs, pour chaque barre, des couleurs différentes sont utilisées pour représenter la contribution relative des différentes étapes du cycle de vie. À noter que l’étape d’« Utilisation » du bâtiment a été scindée en plusieurs postes (impacts du chauffage, de l’eau, ….).
Dans un premier temps, il ressort premièrement des résultats que les trois améliorations du bâtiment permettent une réduction significative des impacts sur plusieurs indicateurs environnementaux, en particulier, le changement climatique, la consommation d’énergie. Par ailleurs, en s’intéressant aux étapes du cycle de vie qui ont le plus d’impact sur les résultats, on constate que :
- pour beaucoup d’indicateurs, la plus forte contribution vient de l’étape d’utilisation qui se répète de manière cyclique (alternance de périodes hivernales et estivales) au cours de la longue durée de vie du bâtiment (fixée à 80 ans dans cette étude) ;
- les postes les plus contributeurs lors de l’utilisation sont le chauffage en rouge et l’électricité consommé en jaune ;
- et que la contribution des objets connectés en vert est négligeable.
Le fait d’installer des objets connectés (alternatives SUIVI et GESTION), a permis de diminuer les consommations d’énergie pour le chauffage par rapport à la BASE. Or, le chauffage est l’un des postes ayant le plus d’impact sur le cycle de vie complet. Puisque la contribution des objets connectés est très faible, l’augmentation des impacts induit par l’installation de ces objets ne contrebalance pas la réduction des impacts pour le chauffage. Ainsi, sur le plan environnemental, il est plus intéressant d’installer des objets connectés que de conserver le bâtiment de BASE sans amélioration. De plus, l’alternative GESTION étant celle qui permet la plus forte réduction des consommations de chauffage (30 %), elle est plus avantageuse que l’alternative SUIVI ; et ce même si elle nécessite l’installation d’un plus grand nombre d’objets connectés.
Si les alternatives SUIVI et GESTION permettent une réduction des impacts environnementaux par rapport à la BASE, c’est néanmoins l’alternative RÉNOVÉ qui est la plus intéressante sur le plan environnemental. Elle conduit certes à une augmentation des impacts liés à la fabrication des matériaux (en bleu foncé sur la figure) puisqu’il faut prendre en compte l’isolation des façades, ou encore le changement des fenêtres. Toutefois, cette augmentation des impacts est compensée par la forte réduction des impacts du chauffage à l’étape d’utilisation, pour presque tous les indicateurs environnementaux.
Pour certaines thématiques environnementales telles que la production de déchets, l’effet du gain énergétique a moins de répercussion et les impacts des quatre alternatives sont presque équivalents.
Les résultats montrés ci-dessus ont été obtenus dans un contexte d’usage du bâtiment particulier et en faisant des hypothèses sur les gains énergétiques (10 % et 30 %) permis par les alternatives SUIVI et GESTION. Afin d’évaluer si ces hypothèses peuvent modifier les conclusions, des calculs prenant en compte des incertitudes ont été réalisés. Une incertitude, de manière générale, traduit un défaut d’exactitude dans la représentation d’une qualité, par exemple une donnée. En réalisation des analyses d’incertitudes, il est possible d’évaluer le niveau de confiance des résultats calculés. Les incertitudes considérées ici concernent la quantification des matériaux et procédés décrivant le système bâtiment sur son cycle de vie. Plus précisément, elles ont porté sur la modélisation environnementale des capteurs connectés, sur les comportements des habitants vis-à-vis de la consommation d’énergie, sur les gains énergétiques possibles, et sur la durée de vie du bâtiment et de ses équipements connectés. En prenant en compte ces incertitudes, les résultats ne sont plus une valeur d’impact par alternative et par indicateur, mais une distribution de valeurs possibles par alternative et par indicateur. Un exemple de résultat brut de l’analyse d’incertitude est montré dans la figure ci-dessous.

Figure 4: Résultats bruts de l'analyse d'incertitude.
Dans cette figure, on peut voir pour l’indicateur de changement climatique, que l’alternative RÉNOVÉ est la plus susceptible d’avoir les impacts environnementaux les plus faibles. Le classement des alternatives reste inchangé et l’alternative BASE est quant à elle la plus susceptible d’avoir les impacts les plus forts. Une analyse plus approfondie des résultats avec incertitudes a montré que les alternatives SUIVI et GESTION permettent toujours de réduire les impacts par rapport à la BASE, même si le gain est parfois très faible. En revanche, pour certaines thématiques environnementales (toxicité pour les écosystèmes vivant en eau douce, toxicité pour l’homme et occupation des sols), l’alternative RÉNOVÉ peut devenir moins intéressante que la BASE sur le plan environnemental [8].
Pour conclure, dans les logements non rénovés, les objets connectés ont un intérêt environnemental. En assurant un suivi (alternative SUIVI) ou un pilotage (alternative GESTION) de la consommation énergétique d’une habitation, ils permettent de faire des gains d’énergie qui se traduisent par des diminutions d’impacts environnementaux. L’impact de la fabrication et de la fin de vie des capteurs étant très faibles, le bénéfice des objets connectés est avéré, même s’il reste faible pour certains indicateurs environnementaux. Ces conclusions reposent sur l’hypothèse que les gains énergétiques sont constants au cours du temps. Or, dans le cadre de l’alternative SUIVI, les gains sont conditionnés par une implication des habitants qui reçoivent des conseils personnalisés pour réduire leur consommation. Des études ont montré que cette implication peut diminuer au cours du temps, ou que l’économie d’énergie ne soit pas aussi importante que prévue à cause d’effets rebond(1), réduisant de fait l’intérêt environnemental de l’installation des capteurs [9].
Par ailleurs, bien que l’installation d’objets connectés soit intéressante sur le plan environnemental, il s’avère que la rénovation énergétique (alternative RÉNOVÉ) est une solution bien plus efficace pour réduire les impacts d’un bâtiment, pour la majorité des thématiques environnementales. Cette solution est néanmoins plus coûteuse, et équiper un bâtiment non rénové d’objets connectés peut être un compromis avant de le rénover énergétiquement. Enfin, il faut noter que dans les bâtiments neufs ou déjà rénovés, l’intérêt environnemental d’installer des objets connectés diminue, les économies d’énergie potentielles étant plus faibles [10].
Ces travaux ont été menés dans le cadre du projet PULSAR BEBAC – Bilan Environnemental des BÂtiments Connectés – cofinancé par la Région Pays de la Loire et l’Université d’Angers. PULSAR est un dispositif d’accompagnement pour aider les chercheurs nouvellement recrutés en région Pays de la Loire à démarrer leur carrière scientifique. Marie-Lise Pannier, maître de conférences, a bénéficié de ce dispositif suite à son arrivée à l’Université d’Angers. Actuellement, elle coordonne un projet financé par l’agence nationale de la recherche, sur l’amélioration de la prise en compte des incertitudes en analyse de cycle de vie des bâtiments. Clémence Lagarde a travaillé sur BEBAC dans le cadre de son projet de fin d’études, qui clôturait ses études d’ingénieur de l’INSA de Strasbourg. Suite à ce projet, elle a débuté une thèse de doctorat à l’Université de Bordeaux.
Bibliographie
[1] International Energy Agency, Global Status Report for Buildings and Construction 2019 – Towards a zero-emissions, efficient and resilient buildings and construction sector, 2019. https://www.iea.org/reports/gl....
[2] ISO 14040, Management environnemental - Analyse du cycle de vie - Principes de cadre, 2006.
[3] ISO 14044, Environmental management - Life cycle assessment - Requirements and guidelines, 2006.
[4] B. Polster, B. Peuportier, I. Blanc Sommereux, P. Diaz Pedregal, C. Gobin, E. Durand, Evaluation of the environmental quality of buildings towards a more environmentally conscious design, Solar Energy 57 (1996) 219–230. https://doi.org/10.1016/S0038-...(96)00071-0.
[5] République française, Arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l’article R. 172-6 du code de la construction et de l’habitation - Légifrance, 2021. https://www.legifrance.gouv.fr....
[6] République française, Décret n° 2021-1004 du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine, 2021. https://www.legifrance.gouv.fr....
[7] ADEME, G. Caputo, E. Blanchet, Individualisation des frais de chauffage (IFC) dans les logements collectifs – Evaluation des gains énergétiques – Analyse statistique des gains énergétiques après la pose d’IFC, 2019. https://librairie.ademe.fr/urb....
[8] C. Lagarde, M. Robillart, D. Bigaud, M.-L. Pannier, Assessing and comparing the environmental impact of smart residential buildings: A life cycle approach with uncertainty analysis, Journal of Cleaner Production 467 (2024) 143004. https://doi.org/10.1016/j.jcle....
[9] J. Pohl, V. Frick, M. Finkbeiner, T. Santarius, Assessing the environmental performance of ICT-based services: Does user behaviour make all the difference?, Sustainable Production and Consumption 31 (2022) 828–838. https://doi.org/10.1016/j.spc.....
[10] M.-L. Pannier, T. Remoué, D. Bigaud, Stochastic comparative LCA of smart buildings, E3S Web Conf. 349 (2022) 04012. https://doi.org/10.1051/e3scon....
(1) Les innovations technologiques permettent d’augmenter l’efficacité des systèmes, mais généralement, les gains énergétiques prévus sont compensés par une augmentation des usages. Au global, les consommations augmentent alors qu’elles devaient être réduites ; c’est le phénomène d’effet rebond.