Les équipes de recherche ESA & INRAE accompagnent la transition agroécologique de la viticulture
Publié par Cécile COULON-LEROY, le 18 septembre 2024 180
L’agriculture joue un rôle central dans les grands défis mondiaux actuels et à venir. Elle s’adapte aux effets déjà visibles du changement climatique, elle est même essentielle pour réduire son impact. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) recommande plusieurs actions pour adapter l’agriculture aux nouvelles réalités climatiques[1] : la gestion plus efficace de l’eau, la réduction des pesticides, la protection de la biodiversité et l’adoption de pratiques plus durables en matière d’énergie, aussi bien dans la production que dans la consommation.
Les agriculteurs et agricultrices sont en première ligne face à ces défis. Ils doivent non seulement adapter leurs méthodes de travail, mais aussi faire face aux conséquences directes de la crise environnementale et climatique actuelle, qui complique encore davantage leur quotidien. Face à ces enjeux, la transition agroécologique apparaît comme une solution prometteuse.
- Une transition agroécologique de plus en plus nécessaire
L’agroécologie est un concept scientifique complexe[2], qui fait l’objet de nombreux travaux permettant de la définir. Une définition simplifiée est de la considérer comme la discipline permettant de fournir les principes écologiques de base afin de concevoir et gérer des systèmes agricoles qui soient respectueux de l’environnement, socialement justes et économiquement résilients[3]. Elle peut également être placée en un idéal vers lequel tendre en transformant les systèmes agricoles actuels pour à la fois réduire leur impact sur l’environnement et assurer leur pérennité économique et sociale face aux enjeux globaux tels que le changement climatique.
C’est cette transformation progressive des systèmes agricoles que les scientifiques nomment « transition agroécologique ». Cette transition engage tous les acteurs des systèmes agri-alimentaires, depuis les agriculteurs et agricultrices jusqu’aux pouvoirs publics en passant par les acteurs du conseil technique et de la recherche. Elle implique des changements à toutes les échelles, en commençant par des changements de pratiques agricoles.
Ces changements de pratiques agricoles doivent à la fois tendre vers une réduction (voire une suppression) de l’utilisation de produits phytosanitaires (herbicides, insecticides et fongicides), viser à conserver la nature des sols ainsi que les ressources en eau, et protéger la biodiversité associée aux systèmes agricoles. Au vu des enjeux à adresser, les agriculteurs et agricultrices doivent donc être accompagnés dans cette transition, afin d’apprendre mais aussi de pouvoir implémenter de nouvelles pratiques plus agroécologiques.
- La transition agroécologique dans le secteur viticole
Le secteur viticole ne fait pas exception aux défis auxquels est confronté le monde agricole. En plus de faire face aux effets du changement climatique, il subit une baisse continue de la consommation de vin en France depuis les années 1960, tout en étant soumis à la concurrence de plus en plus forte des vins du Nouveau Monde sur le marché international. De plus, en France, la production de vin est majoritairement sous Indications Géographiques[4], ce qui signifie que les pratiques viticoles sont réglementées par des cahiers des charges destinés notamment à protéger la qualité des vins ainsi que leur origine. Ainsi, les stratégies pour encourager un changement de pratiques chez les vignerons et vigneronnes sous IGP ou AOP doivent être menées à l’échelle des exploitations, mais également à l’échelle des institutions liées à ces Indications Géographiques.
Photo d'un paysage viticole permettant de représenter les différents éléments qui le composent (réalisation F. Ruggieri)
En Anjou par exemple, la fédération viticole de l’Anjou-Saumur (FVAS), en charge des 19 AOP viticole de la zone, a décidé de changer tous les cahiers des charges afin d’intégrer une mesure visant à réduire l’intensité du désherbage chimique des parcelles. Ainsi, il est aujourd’hui interdit d’utiliser des herbicides chimiques dans l’inter-rang des parcelles viticoles destinées à produire du vin sous AOP. Ce changement des cahiers des charges a été mené grâce à l’impulsion de l’Institut National de la Qualité et de l’Origine (INAO) au niveau national, et est un très bon exemple de coordination des acteurs dans le cadre de la transition agroécologique.
- Le changement de pratiques des vignerons et vigneronnes : les perceptions et les connaissances
À l'échelle des exploitations agricoles, de nombreux facteurs influencent le changement de pratiques. Parmi eux, la manière dont les agriculteurs et agricultrices perçoivent leur environnement, ou "agroécosystème", peut parfois influencer l’adoption de nouvelles pratiques. Par exemple, inclure dans leur vision les zones dites "non-productives", comme les haies ou les parcelles en jachère, pourrait encourager une transition vers des méthodes plus agroécologiques. En viticulture, ces espaces non-cultivés comme les tournières et les inter-rangs jouent un rôle important et, en les intégrant mieux dans leur gestion, les vignerons et vigneronnes pourraient mieux relever les défis agroécologiques à l’échelle du paysage.
En Anjou, l’enherbement des parcelles viticoles est une question clé pour les vignerons et vigneronnes. Ils doivent trouver un équilibre entre les avantages et les inconvénients liés à la présence d'herbe dans les vignes. D'un côté, l’enherbement peut améliorer la portance du sol, favoriser la biodiversité, et même créer une compétition bénéfique avec la vigne pour améliorer la qualité du vin. De l'autre, il peut aussi entraîner une concurrence négative pour l'eau, ce qui peut poser des problèmes en période de sécheresse et induire des pertes de rendement. Les méthodes pour gérer l’enherbement varient énormément. Certains optent pour des herbicides, d’autres pour le désherbage mécanique. La fréquence des interventions et le type d’enherbement choisi (semé ou spontané) diffèrent également selon les pratiques et les objectifs de chaque personne. La différence entre les pratiques peut notamment être expliquée par des différences de perception de l’herbe, les uns la considérant comme une compétitrice tandis que les autres la considèrent plus comme une auxiliaire.
Si un changement de perception sur les zones non-cultivées peut effectivement faciliter la transition agroécologique en rendant certaines pratiques plus accessibles, cela ne peut se faire sans un accès à une connaissance agroécologique adaptée. Aujourd'hui, les agriculteurs et agricultrices tirent principalement leur savoir de l’échange avec leurs collègues. Ainsi, le partage de connaissances entre pairs peut jouer un rôle clé dans cette transition, notamment lorsque des personnes avec des expériences et points de vue différents se rencontrent. La recherche a donc, en plus de son rôle de production de connaissances, la mission d’encourager ces échanges. En créant des espaces de partage et de co-création, elle permet de développer une approche participative, où les savoirs sont construits ensemble pour accompagner la transition agroécologique.
Faustine Ruggieri a réalisé sa thèse sous la direction de René Siret (ESA Angers) et d’Armelle Mazé (INRAE), co-encadrée par Cécile Coulon-Leroy (ESA Angers). Sa thèse a été réalisée au sein de l’unité GRAPPE de l’ESA Angers et de l’UMR SADAPT de l’INRAE. Elle s’intitule « Dynamiques d’action collective et changements de pratiques des vignerons sous AOP pour encourager la transition agroécologique. Un cas d’étude en Anjou-Saumur. » et a été co-financée par le département ACT de l’INRAE et par la région Pays de la Loire. Elle a été soutenue le 25 avril 2024.
[1] Calvin K., Dasgupta D., Krinner G., et al., 2023, IPCC, 2023: Climate Change 2023: Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Core Writing Team, H. Lee and J. Romero (eds.)]. IPCC, Geneva, Switzerland.First. Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). DOI: 10.59327/IPCC/AR6-9789291691647
[2] Wezel A., Bellon S., Doré T., Francis C., Vallod D. et David C., 2009, Agroecology as a science, a movement and a practice. A review, Agronomy for Sustainable Development, 29(4), p. 503‑515. DOI : 10.1051/agro/2009004
[3] Altieri M. A., 1989, Agroecology: A New Research and Development Paradigm for World Agriculture, Agriculture, Ecosystems and Environment, 27, p. 37‑46.
[4] INAO, 2021, Les Produits sous Signe d’Identification de la Qualité et de l’Origine - Chiffres Clés 2021. Repéré à https://www.inao.gouv.fr/Publications/Donnees-et-cartes/Informations-economiques
Les cahiers des charges des AOP/AOC sont généralement plus stricts que ceux des IGP. Tandis que les AOP/AOC exigent un lien fort entre le produit et la région géographique, les IGP offrent une plus grande flexibilité en termes de production et de région géographique, et mettent l'accent sur des caractéristiques spécifiques liées à la région sans être aussi contraignantes que les AOP en termes de lien géographique.