Le lait maternel peut-il protéger le nourrisson des risques métaboliques plus tard dans sa vie ?
Publié par Nantes Université, le 2 janvier 2025 26
Article écrit par Paul Bobin, doctorant au laboratoire PhAN (Physiopathologie des Adaptations Nutritionnelles – INRAE, Nantes Université), sous la direction de Marie-Cécile Alexandre-Gouabau et Gwenola Le Dréan.
Le concept de l’origine Développementale des Maladies et de la Santé
Dans les années 1980, le Professeur David Barker, a observé grâce à des études épidémiologiques une association entre le faible poids des nouveau-nés à la naissance et un risque accru de développer des maladies cardiovasculaires plus tard à l’âge adulte. Les observations de D. Barker ont conduit au concept de l’origine Développementale des Maladies et de la Santé (DOHaD ou Developmental Origin of Health and Diseases). Le concept de la DOHaD met en avant l’importance de la période des 1000 premiers jours, incluant la période de préconception, la grossesse et les deux premières années de vie du nourrisson. Pendant cette période, les organes du fœtus puis du nouveau-né, en cours de développement, sont très sensibles aux facteurs environnementaux auxquels ils sont exposés. Ces facteurs environnementaux vont ainsi influencer son développement et sa santé future.
Parmi ces facteurs environnementaux, certains peuvent avoir un effet délétère pour le développement de l’organisme. C’est notamment le cas lors d’une exposition maternelle à des perturbateurs endocriniens, à des polluants mais aussi au tabac et à l’alcool. Par ailleurs, le statut métabolique de la mère (obésité, diabète, etc.) au même titre qu’une alimentation maternelle trop riche ou à l’inverse un déficit d’apport en nutriments pour le fœtus sont autant de facteurs qui peuvent avoir de lourdes répercussions pour son développement et donc pour sa santé à l’âge adulte. Mais attention, le rôle du père ne doit pas non plus être sous-estimé ! En effet, des études ont aussi mis en évidence que le statut métabolique et l’alimentation paternelle sembleraient tout aussi déterminants pour le devenir métabolique de la descendance.
Mon travail de thèse, sous la direction du Dr. Alexandre-Gouabau et du Dr. Le Dréan de l’Unité Mixte de Recherche INRAE - Nantes Université PhAN (Physiopathologie des Adaptations Nutritionnelles), vise à étudier les conséquences de l’exposition au Diabète Gestationnel sur les risques, pour la descendance, de développer à l’âge adulte un Diabète de Type 2.
Le Diabète Gestationnel, qu’est-ce que c’est ?
Le diabète gestationnel (DG) se définit pas une intolérance au glucose et une hyperglycémie, détectée pour la première fois lors de la grossesse. Le DG est une maladie restreinte à la période de la grossesse et se résorbe généralement après l’accouchement. Mais alors pourquoi s’y intéresser puisqu’il disparait après la grossesse ? D’abord, le DG est un véritable enjeu de santé publique puisqu’il concerne une grossesse sur six dans le monde et plus particulièrement en France près de 16% des grossesses. Cette pathologie peut être lourde de conséquences pour la maman. En effet, les femmes atteintes de DG présentent un risque accru d’hypertension artérielle et de pré-éclampsie (hypertension localisée au niveau du placenta) pendant leur grossesse, mais aussi un plus fort risque de devoir accoucher par césarienne ou encore d’être d’avantage sujettes à la dépression post partum. A plus long terme, ces femmes ont aussi plus de risque de développer du surpoids, de l’obésité, un diabète de type 2, ou de nouveau un DG lors de leur prochaine grossesse.
Des effets sur la santé du bébé sont également observés. En effet, pendant sa vie intra-utérine, le fœtus va lui aussi être exposé à l’hyperglycémie de sa mère et en subir les conséquences. Les risques de naitre prématuré ou avec un poids supérieur à 4 kg (macrosomie) sont largement augmentés. Une fois à l’âge adulte, ces bébés ont un risque plus élevé de devenir obèses (risque multiplié par 2) ou diabétiques (x 8). Le DG s’inscrit donc dans le concept de la DOHaD, puisque l’exposition à l’hyperglycémie durant la grossesse augmente les risques de survenu de diabète de type 2 pour la génération suivante, contribuant ainsi à l’explosion de l’incidence des maladies cardiovasculaires et métaboliques dans le monde.
Alors que faire face aux risques plus élevés pour le nouveau-né de mères ayant un historique de DG de développer plus tard dans sa vie un diabète de type 2 ? C’est la question que nous nous sommes posés au cours de ma thèse. Le laboratoire PhAN, et plus particulièrement le Dr. Alexandre-Gouabau a développé son expertise autour des questions impliquant le lait maternel.
Le Lait Maternel… parlons-en !
Le lait, premier système alimentaire auquel est exposé le nouveau-né, est le seul aliment que les mammifères soient capables de produire par eux même. C’est une matrice très riche et très complexe. Riche par la diversité en nutriments qu’il contient (glucides, lipides, protéines, vitamines, minéraux et même des hormones, etc.) mais également en composés ayant des propriétés protectrices vis-à-vis de l’immunité ou de l’inflammation. Complexe par sa forme. En effet, le lait est en partie composé d’une multitude de globule gras dont la structure conditionne la répartition des différents types de lipides. Le lait maternel est l’ingrédient le plus adapté aux besoins du nourrisson et sa formule reste inégalée encore aujourd’hui. Les formulations infantiles tentent de s’en rapprocher mais sans atteindre la composition du lait maternel, considéré comme l’étalon-or de la nutrition infantile.
Le lait maternel fait l’objet de nombreuses études. On sait à présent que sa composition évolue à plusieurs échelles, d’une part sur la période d’allaitement, mais aussi au cours de la tétée. L’organisation mondiale de la santé (OMS) préconise un allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois de la vie du nourrisson. Et pour cause, de nombreuses études on mit en évidence les bénéfices de l’allaitement maternel, qui réduit de 12% le risque de mortalité infantile dans le monde en particulier en raison de sa capacité à diminuer les infections respiratoires et gastro-intestinales notamment en stimulant la maturation du système immunitaire et la barrière intestinale. Dans un contexte de diabète gestationnel, il semblerait que l’allaitement maternel de longue durée soit associé à une réduction du risque pour les nouveau-nés de développer de l’obésité ou un diabète de type 2 à l’adolescence en comparaison avec des nouveau-nés nourris par formulation infantile.
Mais alors, quel est le rapport entre le Diabète Gestationnel et le lait maternel ?
De récentes études ont mis en évidence des différences dans la composition en nutriments et plus particulièrement en lipides dans le lait des mamans ayant développé un DG (métabotype spécifique). Ces différences de concentrations de certaines familles de lipides pourraient jouer un rôle dans la sensibilité à l’insuline (hormone produite par le pancréas et régulant la glycémie). En d’autres termes, le lait des femmes ayant développé un DG pourrait être protecteur pour le nourrisson ayant été exposé in utéro à l’hyperglycémie de sa maman, face au risque de développer un diabète de type 2 plus tard dans sa vie ?
Grâce à un modèle expérimental de DG nous essayons de répondre à cette question. Nous avons alimenté des rates avec un régime gras et sucré pendant la période de gestation de façon à induire un DG. Puis à la naissance, afin de mesurer l’effet de la composition du lait selon le statut métabolique de la maman, nous avons réalisé des adoptions de ratons nés de mères DG, soit par des mères DG, soit par des mères présentant une glycémie normale pendant la gestation. Au cours de la période de lactation, nous avons collecté le lait dans les 2 groupes de rates de façon à confirmer les différences observées dans la composition en nutriments du lait DG chez la femme. En parallèle, nous avons étudié le statut métabolique des ratons pendant la phase critique de la période d’allaitement, mais aussi au stade adolescent et à l’âge adulte. Durant ma thèse, je me focalise sur l’étude de 2 organes clefs impliqués dans la régulation de la glycémie chez la descendance à savoir le pancréas et le foie. J’évalue leur capacité à produire de l’insuline et à réguler le métabolisme énergétique et j’étudie la sensibilité à l’insuline de leur organisme.
Quelles seront les retombées de ce travail pour la société ?
La prise en compte de la période d’allaitement constitue un levier d’action durable pour tenter de réduire la prévalence des maladies métaboliques dans le monde. Nos résultats viendront également compléter les recommandations nutritionnelles personnalisées faites aux mères atteintes de DG afin de limiter la transmission du risque métabolique à la descendance. Enfin, ce projet pourrait aussi permettre de mettre en place des stratégies de supplémentation nutritionnelle en enrichissant les formulations infantiles à destination des nouveau-nés ne bénéficiant pas de l’allaitement maternel.
Article écrit par Paul Bobin, doctorant au laboratoire PhAN (Physiopathologie des Adaptations Nutritionnelles – INRAE, Nantes Université), sous la direction de Marie-Cécile Alexandre-Gouabau et Gwenola Le Dréan.
Les trois premières années de thèse de Paul Bobin sont financées par une allocation doctorale de la Région Pays de la Loire (50%) et de l’Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (INRAE) (50%) et s’intègre dans un projet global financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) : projet ANR GDM-Milk. Actuellement en quatrième année de thèse, il poursuit son travail de recherche grâce aux financements de l’ANR et de la Société Française de Néonatologie.