La modélisation physique en centrifugeuse : un outil pour étudier les ouvrages géotechniques
Publié par Matthieu Blanc, le 16 janvier 2023 1k
La notion de modèle, est couramment utilisée dans la méthodologie des sciences pour désigner toutes les figurations ou reproductions qui servent les besoins de la connaissance. Le modèle, réduit et maniable, reproduit les propriétés d'un objet de taille réelle et peut donc être soumis à des mesures, des calculs, des tests physiques difficilement réalisables sur des éléments de grande taille.
MODELE REDUIT EN GEOTECHNIQUE
Les recherches et études sur le comportement des ouvrages géotechniques sont à la base de leur dimensionnement. Celui-ci se fait par méthodes empiriques, par calcul analytique, ou numérique, en utilisant les propriétés rhéologiques des géomatériaux. La validation des calculs peut se faire sur ouvrages en vraie grandeur dans des stations d'essais ou in situ. Cette approche qui ne permet guère la répétition des essais ni la réalisation d'études paramétriques, demande une instrumentation adaptée et onéreuse.
Certains géotechniciens se sont donc tournés vers des modèles réduits, afin de mieux analyser les phénomènes d’interactions entre les géomatériaux et les structures de génie civil. Cependant, les géomatériaux ont généralement un comportement fortement non-linéaire, et dépendant de l’état de contrainte. Ainsi, un modèle réduit réagit différemment du prototype qu’il représente. Pour pallier à ce problème, le modèle réduit doit être placé dans un champ de macrogravité.
La contrainte verticale, due au poids propre du sol, est égale au produit de la masse volumique par l’accélération de la pesanteur et par la profondeur. Pour que la contrainte verticale soit identique en deux points homologues du prototype et le modèle réduit, sachant que l'on souhaite conserver le même matériau, le facteur d’échelle sur l'accélération g devra être égal à N. On établit ainsi une relation de similitude entre le prototype et le modèle qui devra donc être soumis à un champ de macro gravité.
MACROGRAVITE & CENTRIFUEUSE
On parle de macro gravité quand l’accélération de la pesanteur est supérieure à la gravitation terrestre. Celle-ci se déduit de la loi de l’attraction universelle établie par Newton en 1683. Malheureusement, les lieux où règne une macro gravité naturelle ne sont pas facilement accessibles. Sur le Soleil, le champ de gravité est 28 fois supérieur à la gravité terrestre, mais celui-ci est difficilement accessible et des problèmes de métrologie n’y seraient pas à exclure....
En centrifugeuse, l’accélération est proportionnel au rayon et à la vitesse de rotation au carré. Il existe deux familles de centrifugeuses , qui sans aucune exception, tournent dans un plan horizontal. Dans les centrifugeuses « à tambour », qui sont moins répandues, le modèle est construit à l’intérieur d’un cylindre. Dans celles dites « à poutres », le modèle est placé dans une nacelle fixée à l’extrémité du bras.
C’est en 1869 qu’Edouard Philips présente le principe de la modélisation physique sur modèle réduit en centrifugeuse Ayant à l’esprit l'étude de structures, Philips établit alors les règles de similitude de base. Les premières centrifugeuses destinées à la géotechnique datent des années 1930. Bucky, aux États-Unis étudiait la stabilité de toits de mine, tandis que Pokrovski, en Union Soviétique, s’intéressait à celle des ouvrages en terre. Il fallut ensuite la fin des années 70 pour voir la réapparition des centrifugeuses dans l’étude des modèles géotechniques.
Parmi les 250 centrifugeuses géotechniques rependus dans le monde, plus de la moitié ont été développées suivant le modèle réalisé à l’Université Gustave Eiffel. Les centrifugeuses de grand rayon, supérieur à 4 mètres pour une trentaine d’entre elles permettent d’appliquer au modèle une accélération plus homogène que celles de petit rayon.
Inaugurée en 1985, la centrifugeuse géotechnique de l'Université Gustave Eiffel, située sur le campus de Nantes à Bouguenais, est unique en France et l’une des plus grandes centrifugeuses au monde avec un rayon de 5,5 m. Elle permet d’embarquer un modèle réduit pouvant peser jusqu'à 2 tonnes et de le placer dans un champ de macrogravité 100 fois supérieur à celui de la Terre. Ainsi le modèle réduit au 100ième conserve le même comportement que le prototype. Sous cette accélération, le modèle réduit tourne à une vitesse rotation supérieure à 2 tours par seconde à la vitesse tangentielle de 277 km/h.
MOYENS D’ESSAIS EMBARQUES
Les massifs de sol embarqués sont essentiellement constitués de sable ou d’argile. Un essai sur modèle réduit centrifugé débute dès que la macrogravité nécessaire est atteinte. L’apparition de robots et le développement constant d’appareillages nouveaux permettent de multiplier et varier les essais en vol afin d’appréhender des problèmes complexes tels que la mise en place de fondations, ou encore le phasage d’excavations et de soutènement. Une table vibrante peut également être embarquée afin de simuler un tremblement de terre.
Les interventions sur le modèle sont pilotées à distance pendant la phase d’essai. L’acquisition des données se fait généralement dans la salle de commande. On enregistre le flux des caméras ainsi que ceux des capteurs : forces, pressions, déplacements, rotations, etc...
VALIDATION DE LA METHODE
La validation de la modélisation physique se fait principalement selon deux approches expérimentales, dont l'objet est d'approuver les relations de similitude. La première consiste à comparer les résultats d'essais en centrifugeuse, avec ceux des essais sur prototype. Dans la seconde, des essais en centrifugeuse sur des modèles réduits à différentes échelles, sont réalisés. En soumettant chaque modèle à l’accélération adéquate, les résultats rapportés à la structure prototype, doivent se superposer si la modélisation est correcte et peuvent être aussi comparés avec ceux de calculs déduits d'une modélisation numérique.
PERSPECTIVES
Les méthodes d’analyse nouvelles ou existantes, liées à la modélisation physique en centrifugeuse contribuent à l’accroissement des connaissances de la mécanique des structures géotechniques. Les principales applications concernent les fondations, les soutènements, les structures enterrées, la dynamique des sols, ainsi que la géotechnique de l'environnement.
Le domaine de la géotechnique de l’environnement offre un champ d’investigation très large sur des problèmes d’origine tant anthropique : pollution des sols, stabilité d’ouvrages en terre, que naturelle : tremblements de terre et stabilité hivernale des pentes.
L’utilisation de la modélisation physique en centrifugeuse est essentiellement limitée par l’imagination des chercheurs et des ingénieurs qui y ont recours.
INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES
Plus d'informations sur la modélisation physique en centrifugeuse des ouvrages géotechniques sur ce lien : https://youtu.be/VOzAlG83vbw