Quand la chaleur menace les vaches : comprendre et prévenir le stress thermique en élevage laitier
Publié par Anne-Cécile Toulemonde, le 4 novembre 2024 400
Le changement climatique, et notamment ses épisodes de forte chaleur l’été, met les vaches laitières à rude épreuve. Il entraîne une baisse de la production laitière, des problèmes de reproduction ou encore des problèmes de santé comme les boiteries. Pourquoi ces animaux sont-ils si sensibles à la chaleur, et comment les nouvelles technologies peuvent aider les éleveurs à faire face sereinement à ce phénomène de plus en plus récurrent ?
Si la période estivale est une période de repos attendue par beaucoup, certains éleveurs laitiers la redoutent de plus en plus pour leurs animaux. Car la vache, comme l’être humain, est un mammifère homéotherme. Elle doit donc en permanence maintenir sa température corporelle relativement constante, et ce, quelle que soit la température extérieure. Voisine de 37 °C chez l’homme, elle se situe entre 38 °C et 39 °C chez la vache. Mais la vache est encore plus sensible à la chaleur ambiante que l’homme, et ce, pour plusieurs raisons.
Pas facile de perdre de la chaleur par temps chaud quand on est une vache !
« La peau de vache », épaisse et couverte de poils, agit comme une barrière naturelle à la dissipation de la chaleur, ce qui est appréciable par temps froid, mais moins par temps chaud. De plus, contrairement à l’homme, la vache possède peu de glandes sudoripares situées dans la peau et produit donc moins de sueur qui aide normalement à dissiper cette chaleur interne. La vache a donc une capacité limitée pour évacuer son surplus de chaleur par la sueur. Mais en plus de son enveloppe corporelle, la vache présente un autre handicap en cas de forte chaleur : une faible capacité pulmonaire. Celle-ci caractérise le volume maximal d'air que les poumons peuvent contenir : plus ce volume est important, plus l'organisme peut recevoir d'air « frais » à chaque inspiration, et plus il peut en dissiper en expirant. Chez la vache, cette capacité n’est que de 12 L pour un animal de plus de 600 kg, contre près de 5 L pour un homme de 75 kg, ce qui reviendrait à 35 L s’il pesait 500 kg !!! La vache possède, comme l’être humain, une plage de température ambiante dite de confort, située entre 5 °C et 25 °C. Dans cette "zone dite de neutralité thermique", elle ne dépense que très peu d’énergie pour réguler sa température interne. Lorsque la température extérieure passe sous les 5 °C ou dépasse 25 °C, elle subit alors un stress thermique, état dans lequel son corps lutte pour maintenir sa température interne constante. En cas de dépassement, pour évacuer l’excès de chaleur, quatre mécanismes de refroidissement existent :
- La radiation, qui lui permet de dissiper de la chaleur en émettant des rayons infrarouges. La vache peut ainsi perdre de la chaleur lorsqu’elle est à l’ombre (mais à l’inverse, elle peut aussi en absorber si elle est exposée au soleil !).
- La conduction, qui intervient lorsque la vache est en contact direct avec une surface plus froide, comme la litière ou le sol (mais ce mécanisme est inefficace si la surface est chaude ou si elle reste debout !).
- La convection, qui se produit lorsque l’air circule autour de la vache. Cet air plus frais emporte la chaleur (mais plus il est chaud et moins il est efficace !).
- L’évaporation, qui est le principal moyen de refroidissement. La vache perd de la chaleur, via l’évaporation d’eau par la respiration et, dans une moindre mesure, la transpiration. Ce processus est efficace, mais il entraîne aussi une perte d’eau importante, ce qui augmente le risque de déshydratation si le stress thermique se prolonge.
L’inégalité face au stress thermique : une vacherie ?
En cas de forte chaleur, certains transpirent vite dans le métro tandis que d’autres restent au sec ! Au sein d’un troupeau, il en va de même, toutes les vaches ne réagissent pas non plus de la même manière face à un excès de chaleur. Par exemple, les vaches à pelage noir absorbent plus de chaleur du soleil que celles à pelage clair. Les génisses, c’est-à-dire les jeunes vaches qui n’ont pas encore vêlé, tolèrent généralement mieux la chaleur, car elles sont plus petites et leur métabolisme produit moins de chaleur que les vaches adultes. La production de lait joue également un rôle important : les plus productrices des vaches sont celles qui dégagent aussi le plus de chaleur pour produire tout ce lait. Le stade de lactation, défini à partir du nombre de jours de production de lait depuis le vêlage, affecte aussi leur tolérance et leur résistance à la chaleur. Ainsi, les vaches en début de lactation sont souvent moins affectées par un pic de chaleur que celles en milieu de lactation, qui produisent plus de lait et sont donc plus sensibles.
À cela s’ajoutent des facteurs moins visibles, comme le profil génétique de l’animal et sa tolérance individuelle au stress thermique. Certaines vaches, ayant déjà vécu des épisodes de forte chaleur, peuvent développer une forme de résistance, tandis que d’autres, moins habituées, s’adaptent plus difficilement et cette capacité d’adaptation varie fortement d’un animal à l’autre. Ces facteurs, liés à l’animal, interagissent en plus avec l’environnement. Comme nous l’avons vu précédemment, quand la température de l’air augmente, la vache perd plus difficilement sa chaleur, car la différence de température entre sa peau et l’air diminue. Dans ce cas, l’évaporation devient son principal moyen de se rafraîchir. Toutefois, si l’humidité ambiante augmente également, comme lors d’épisodes orageux, l’évaporation devient alors moins efficace, rendant la régulation de sa température encore plus difficile. Outre la température et l’humidité, d’autres facteurs comme le vent et le rayonnement solaire influencent la température ressentie, qui reflète la chaleur perçue par l’animal. En d’autres termes, lorsque l’air est à la fois chaud et humide, et que la vache est à l’extérieur sans ombre, elle n’arrive plus à se rafraîchir efficacement, augmentant considérablement le « risque de surchauffe ».
Des effets déjà visibles qui méritent réflexion
Dans un futur proche, les modèles climatiques les plus pessimistes du GIEC prévoient qu'en 2100, le Nord de la France, y compris la région des Pays de la Loire, pourrait connaître des conditions similaires à celles du Sud actuel. Les étés deviendraient plus chauds, avec une forte augmentation du nombre de jours dépassant chaque année les 25 °C, de 45 jours actuellement à près de 95 jours. Toutefois, en raison de l’humidité ambiante, le stress thermique est d’ores et déjà bien présent chez nos vaches dans le Grand Ouest, avec une réduction de leur activité et du temps de repos couché. Pour se rafraîchir, une vache peut ainsi passer jusqu’à 3 heures de plus debout, immobile, afin de maximiser les échanges thermiques avec son environnement. Cela se fait au détriment du temps passé à manger et à boire, tout en exerçant une pression accrue et prolongée sur ses pieds. Cette position prolongée entraîne une usure excessive de leur semelle (appelée la sole), et des douleurs qui se manifestent par des troubles locomoteurs (boiterie). Une vache qui a mal aux pieds souffre, se déplace moins, mange moins et, par conséquent, produit moins de lait. Mais dans un climat tempéré comme en région Pays de la Loire, les données précises sur les seuils critiques d’ambiance (température, humidité, etc.) ne sont pas clairement établies, tout comme on ne connaît pas encore la durée d’exposition minimale avant que des effets néfastes ne se manifestent sur le comportement, la santé ou la production des vaches. On ne dispose ainsi pas de système d’alerte permettant aux éleveurs de savoir quand mettre en place des systèmes de refroidissement pour les animaux.
Toutes ces interrogations sont au cœur de la thèse Dynam'Heat (voir encadré), qui a pour objectif principal de déterminer le plus précisément possible ces seuils d’alerte, en s’appuyant sur des outils d’intelligence artificielle (IA) pour détecter les premiers signes de stress thermique chez les vaches. En effet, pour pouvoir le faire, il est nécessaire de pouvoir collecter et analyser de grandes quantités de données, sur des périodes longues et l’IA se révèle alors être un allié précieux. Les résultats attendus de cette thèse s’adressent avant tout aux éleveurs et leurs conseillers, en vue de prévenir les impacts du stress thermique sur les troupeaux. Mais au-delà de la gestion quotidienne des élevages, ces travaux vont permettre d’améliorer la compréhension des facteurs de susceptibilité au stress thermique. Ils ouvriront la voie au développement de stratégies de sélection génétique et de gestion des troupeaux mieux adaptés aux conditions climatiques futures. Par extension, cette thèse contribuera également à renforcer la sécurité des ressources en produits alimentaires issus du troupeau laitier (lait & viande surtout) et donc, la souveraineté alimentaire sur le long terme.
Dynam’Heat est le titre de la thèse, réalisée sur le campus vétérinaire d’ONIRIS à Nantes par Anne-Cécile Toulemonde (2023-2026). Le travail de la thèse se situe à l’interface des sciences animales, des nouvelles technologies en élevage et de l’épidémiologie. Elle est réalisée sous la supervision de Raphaël Guattéo et d'Aurélien Madouasse, de l’UMR BIOEPAR, en collaboration avec Yannick Le Cozler de l’UMR PEGASE située à Rennes (35). Le projet est financé par la région Pays de la Loire, le Laboratoire d’innovation territoriale (LIT) OUESTEREL et l’UMR BIOEPAR. |