Construire en terre crue: une voie pour microniser l'empreinte environnementale des bâtiments
Publié par Paula Andrea Higuera Romero, le 17 juin 2023 2.6k
La construction traditionnelle en terre crue existe depuis des millénaires sous diverses formes dans le monde. Elle a connu une décroissance liée à l’industrialisation au siècle dernier, puis une renaissance remarquable au cours des dernières décennies, liée à la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux dans tous les secteurs d'activité, et en particulier dans le secteur de la construction. En effet, ce secteur est responsable d’environ 25% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, qui sont à l’origine du réchauffement climatique. Le défi pour ce secteur dans les années à venir est de trouver des solutions de construction ayant une faible empreinte environnementale et s'inscrivant dans l'économie circulaire.
En ce sens, la construction en terre crue apparaît comme une alternative de construction avec laquelle il est possible de fortement réduire l’empreinte environnementale, en particulier sur le réchauffement climatique, car la terre est un matériau très disponible, qui requiert peu d’étapes de transformation et pas de cuisson, par rapport à d’autres techniques aujourd’hui très répandues comme par exemple la terre cuite (briques) ou le béton (parpaing). Cependant, de multiples techniques de construction en terre crue coexistent : utilisant ou non des liants (comme le ciment ou la chaux) ; consommant plus ou moins d’eau ; utilisant des techniques manuelles ou mécanisées (qui nécessitent un apport d’énergie) ; et récupérant de la terre issue du site de construction lui-même ou de terres d’excavation de travaux publics à proximité, ou encore dans des sites industriels dédiés à la production de terre emballée prête à l’emploi, ce qui entraîne des distances de transport plus ou moins importantes.
Devant cette multiplicité des pratiques, il faut pouvoir mesurer exactement les effets sur l’environnement, et pas seulement ceux sur le réchauffement climatique, pour trouver les solutions les plus appropriées pour chaque chantier. En ce sens, l'analyse du cycle de vie (ACV) est l'outil le plus reconnu et le plus utile pour évaluer l’ensemble des impacts environnementaux, dont le réchauffement climatique, d'un produit ou d'un service dès la phase de conception jusqu’à sa fin de vie.
Dans le cadre d’une thèse réalisée sur le campus de Nantes de l’Université Gustave Eiffel, un modèle d'ACV dite « orientée à l’action » (c’est-à-dire qu’elle fournit des informations précises aux constructeurs sur leurs choix pratiques), a permis de calculer les impacts environnementaux de quatre techniques de construction en terre crue (Bauge, Pise, Adobe et BTC, voir Figure 1) en intégrant la multiplicité des choix qui s’offrent aux constructeurs. Ainsi, il a été possible de simuler 5 760 scénarios de construction en terre crue pour ces quatre techniques et d’effectuer une analyse pour identifier les pratiques les plus vertueuses.
Figure 1. Illustration des quatre techniques de construction en terre crue étudiées. Toutes les photos sont la propriété de l’Université Gustave Eiffel.
Les résultats ont montré qu'il existe deux familles distinctes de pratiques, d'une part la famille où la terre est dite « non stabilisée » et d'autre part la famille où la terre est dite « stabilisée » à l’aide de liants (ciment, chaux). Pour cette deuxième famille, les résultats présentés ici, concernent des quantités de liants qui sont prises à leurs valeurs maximales. Les pratiques les plus influentes de ces deux familles sont très différentes : les figures 2 et 3 montrent l’importance de chaque opération de production pour un mètre carré de mur en terre crue et pour chacune des quatre techniques pour l'indicateur de réchauffement climatique.
La Figure 2 représente la famille « terres non stabilisées ». Elle montre que le transport a l’effet le plus important. Ces transports se produisent entre l'atelier de fabrication et le chantier de construction, et pour le transport de la terre récupérée hors du site de construction. Vient ensuite l'utilisation du bois pour la fabrication des coffrages pour les techniques du pisé et de la bauge coffrée et des moules nécessaires à la technique de l’adobe. On peut voir aussi que l’utilisation de techniques mécanisées (manutention, presse, concassage, criblage, malaxage) qui facilitent le travail des maçons par rapport à un travail manuel traditionnel, ne contribuent que très peu au réchauffement climatique. Globalement, pour cette famille de « terres non stabilisées », l’indicateur de réchauffement climatique peut aller de 0,5 kg à 16 kg CO2 eq par m2 de mur en terre crue selon les choix du constructeur.
Figure 2. Contribution au réchauffement climatique des opérations de production pour la famille de terres « non stabilisés » pour 1m² de mur
Dans la Figure 3, qui concerne la deuxième famille de « terres stabilisées », la quantité de liant ajouté, spécialement du ciment et de la chaux à la formulation du matériau et à la formulation du mortier ont une influence majeure sur le réchauffement climatique. Cela s'explique par les fortes émissions de CO2 générées par une étape de calcination lors de la fabrication de ces liants. Les transports jouent également un rôle important sur les techniques de briques et de grands éléments en pisé et en bauge. Ceci se produit principalement lorsque l’on utilise de la terre fabriquée prête à l’emploi pour le pisé ou le BTC et d’autres matériaux en terre prêts à l’emploi, car ce type de produit a en général une longue chaîne logistique avec plusieurs distributeurs et intermédiaires, ce qui allonge les distances de transport. Cela est aussi plus important lorsque la terre est récupérée hors du site de construction, comme on l’a vu juste au-dessus pour les « terres non stabilisées ». Globalement, pour cette famille de pratiques, l’indicateur de réchauffement climatique peut varier entre 45 et 240 kg CO2 eq par m2 de mur en terre crue selon les choix du constructeur.
Figure 3 Contribution au réchauffement climatique des opérations de production pour la famille terres stabilisées pour 1 m² de mur
On voit qu’entre les deux familles de pratiques, les ordres de grandeurs ne sont pas les mêmes : les murs en « terre stabilisée » contribuent beaucoup plus au réchauffement climatique que les murs en « terre non stabilisée ». Il ne faut pas oublier que pour la famille des « terres stabilisées » les quantités de liant ont été prises à leur valeur maximale, ce qui veut dire que les impacts sur le réchauffement climatique peuvent être plus faibles, si ces quantités de liants sont plus faibles. Mais cela montre surtout que c’est, de loin, le facteur le plus influent sur la construction en terre crue.
Pour conclure, on peut dire que la construction en terre crue n’est pas toujours synonyme d’amélioration environnementale et qu’il est nécessaire d’évaluer en amont l’impact des choix constructifs L’utilisation des liants doit être considérée avec parcimonie, et réservée à des cas où ils apportent une fonctionnalité essentielle au mur, comme par exemple une meilleure résistance à des pluies diluviennes dans des régions au climat tropical.
Ce travail n’est pas pour autant terminé. Certaines techniques, comme le torchis, n’ont pas encore été étudiées avec cette méthode d’ACV orientée action. De plus, les autres phases du cycle de vie des murs, leur utilisation et leur fin de vie, n’ont pas encore été étudiées. Ceci sera l’objet de nouvelles recherches, qui se déroulent au sein du projet national terre (https://projet-national-terre.univ-gustave-eiffel.fr/).
Remerciements : ce travail est le résultat d’un doctorat financé par l’Université Gustave Eiffel et la région Pays de la Loire.
Auteurs : Paula HIGUERA (1) ; Anne VENTURA (2) ; Erwan HAMARD (2)
(1) UniLaSalle Rennes -EME
(2) Université Gustave Eiffel