Combiner pour mieux régner : comment développer les futures variétés de pommiers résistantes ?

Publié par Romane Lapous, le 24 mars 2025   200

La pomme est le fruit préféré des Français depuis des années. Cependant, les pommiers détiennent également la médaille d’or du nombre de traitements appliqués chaque année en vergers (Agreste, 2018). Cette première place sur le podium est notamment due à la multitude d’agresseurs (insectes, champignons ou encore bactéries), qui aiment eux aussi se nourrir de l'arbre ou de ses fruits. Outre leurs effets néfastes pour l’économie, l’environnement et la santé humaine, les traitements ne sont en plus pas toujours suffisants pour assurer une protection complète des vergers. Pour limiter et compléter leur usage, la création de variétés de pommiers porteuses de gènes de résistance envers ces différents bioagresseurs est un levier prometteur, ayant déjà fait ses preuves.


Une maladie en particulier peut causer de gros ennuis aux pomiculteurs : la tavelure du pommier. Celle-ci est provoquée par un champignon qui, au cours de son développement, va faire apparaître des taches sur les feuilles et les fruits (Fig. 1). Malgré la non toxicité du champignon pour les humains, les consommateurs ne sont pas friands des fruits tavelés, ce qui rend ces derniers impropres à la commercialisation. Le développement de variétés résistantes à la tavelure est donc depuis longtemps au cœur des préoccupations, à la fois des pomiculteurs et des sélectionneurs, ce qui a par exemple donné naissance à la commercialisation d’Ariane®, de Story® ou encore de Choupette®… Malheureusement, l’efficacité de leur résistance sur le terrain peut être éphémère en raison de la capacité évolutive du champignon, de la même manière que l’on observe des variants du virus de la grippe chaque année par exemple. Selon les cas de figure, on parle alors d’érosion partielle ou de contournement total de la résistance.

Figure 1 : Symptômes de tavelure sur feuille et fruit, observés en vergers.

Comment faire pour développer des variétés durablement résistantes qui permettraient de minimiser l’utilisation de pesticides ?


Imaginez un château fort en train de subir l’assaut de l’ennemi ; cela serait absurde de ne le faire garder que par un seul soldat, n’est-ce pas ? Dans la lutte contre la tavelure, c’est presque ce qui s’est passé ces dernières décennies… La plupart des variétés résistantes développées ne sont porteuses que d’un seul gène de résistance. Côté champignon, il suffit alors d’une mutation au bon endroit et au bon moment pour qu’un variant problématique émerge. Si l’on reprend l’exemple du château fort, alors la nouvelle souche de champignon « émergente » correspondrait à un cavalier capable de terrasser notre vaillant soldat… comment faire alors pour anticiper l’éventuelle apparition de futurs cavaliers ?


Une solution possible serait d’ajouter de nouveaux soldats dans les défenses du château, en cumulant des gènes de résistance dans les nouvelles variétés. Cependant, des mutations naturelles chez le champignon pourraient aussi apparaître et multiplier le nombre de cavaliers… Pour anticiper le risque d’apparition de variants émergents, une stratégie pertinente serait de combiner des « armes moléculaires » différentes les unes des autres au sein d’une seule variété de pommier. Pour notre château, cela reviendrait à ajouter des archers et une muraille plutôt qu’à simplement augmenter la taille de l’armée de soldats, portant tous les mêmes armes … Quelques questions restent néanmoins en suspens : que font les gènes de résistance du pommier, quelles molécules sont-ils capables de mobiliser et lesquels associer pour proposer une stratégie de défense complète aux sélectionneurs ?


Pendant des années, un groupe de chercheurs de l’Institut de Recherche en Horticulture et Semences (située près d’Angers) s’est intéressé à quelques deux cents pommiers porteurs de plusieurs gènes de résistance. Ces gènes provoquent des symptômes de résistance variés, c’est pourquoi les chercheurs ont voulu en savoir plus sur leur mode d’action. En étudiant les molécules produites par ces pommiers, une famille moléculaire prometteuse a été identifiée et de nouvelles expériences en laboratoire permettront de mieux comprendre comment celle-ci pourrait agir contre le champignon…


Mieux comprendre quelles molécules sont contrôlées par les gènes de résistance du pommier à la tavelure est un premier pas vers la construction de variétés durablement résistantes. Cependant, les gènes de résistance ne constituent qu’un levier alternatif aux pesticides parmi d’autres, comme l’utilisation des plantes de service ou de stimulateurs de défense des plantes. En comprenant comment chaque levier fonctionne au niveau moléculaire, il serait alors possible d’identifier lesquels sont complémentaires. C’est sur cette réflexion que repose le projet « Cap Zéro Phyto » qui explore le potentiel de cinq leviers de lutte, seuls ou en combinaison, afin de proposer de nouvelles pratiques de production maximisant l’immunité des pommiers, plus agroécologiques et compatibles avec les attentes des pomiculteurs.


Cet article introduit les travaux du projet de thèse METABORES, réalisés à l’Institut de Recherche en Horticulture et Semences (UMR 1345–IRHS INRAE, Institut Agro Rennes-Angers, Université d’Angers) par Romane Lapous (2022–2025), sous la supervision de Charles-Eric Durel, Hélène Muranty et Julie Ferreira de Carvalho. Les résultats issus de ces travaux s’inscrivent dans le Programme Prioritaire de Recherche (PPR) « Cultiver et Protéger Autrement » au travers du projet « Cap Zéro Phyto » (https://www.cultiver-proteger-...). Le projet de thèse est également soutenu par la région Pays de la Loire et le département Biologie et Amélioration des Plantes de l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (BAP-INRAE).