Brochothrix, la bactérie qui altère et adhère !

Publié par Emmanuel Jaffres, le 16 mai 2024   190

Formation de biofilm par Brochothrix thermosphacta, une bactérie majeure de l’altération des aliments (Thèse de doctorat d'Antoine Gaillac, soutenue le 12 avril 2024).

Brochothrix thermosphacta est l’une des principales bactéries d’altération des aliments. Les micro-organismes d’altération sont capables de se développer sur les produits alimentaires et d’engendrer des accidents de fabrications comme une modification de la couleur, de l’odeur, du goût, de la texture des produits, ou encore de provoquer le gonflement des emballages, les rendant impropres à la consommation. L’altération microbiologique est le principal facteur limitant la durée de vie commerciale des produits très périssables. Chaque année, ces phénomènes d’altération microbiologique des aliments sont à l’origine de pertes considérables dans l’industrie agroalimentaire (IAA), qui se caractérisent par un manque à gagner et une perte de compétitivité et qui engendre un impact environnemental important (eau, énergie utilisées pendant la production). L’altération des aliments n’impacte pas seulement les entreprises. Elle peut se manifester chez les consommateurs, alors même que les aliments n’ont pas encore atteint leur date limite de consommation (DLC), engendrant là-aussi du gaspillage alimentaire. En effet, les aliments altérés sont perçu comme impropres à la consommation et sont jetés par les consommateurs. Depuis quelques années, la maîtrise des phénomènes d’altération est devenue un enjeu majeur pour les entreprises agroalimentaires soucieuses de leur impact sur l’environnement et la société, avec notamment la mise en place de la démarche RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), dont l’un des axes de travail prioritaires est : « l’anti-gaspillage alimentaire et le zéro déchet ».

Photo de la bactérie Brochothrix thermosphacta, obtenue par microscopie électronique à balayage (Illikoud, et al., 2018 : https://doi.org/10.1186/s40793-018-0333-z)

C’est dans ce contexte que l’Unité de Recherche SECALIM[1] (INRAE-Oniris) basée à Nantes mène des études sur la bactérie d’altération B. thermosphacta, à la fois sur ses propriétés liées à l’altération des aliments mais également sur ses capacités à adhérer aux surfaces et à former des biofilms[2]. En effet, B. thermosphacta a été identifiée sur de nombreuses surfaces dans les usines de transformation des aliments : sols, murs, surfaces des équipements et machines, et même les mains des opérateurs. Il a été montré que la formation de biofilm d’un micro-organisme était corrélée avec sa persistance dans l’environnement agro-industriel. Une meilleure compréhension de la formation de biofilms et de leurs caractéristiques chez B. thermosphacta est donc essentielle pour mieux maîtriser cette bactérie et prévenir la contamination des aliments. Cependant, l’adhésion et la formation de biofilm chez B. thermosphacta est un sujet très peu exploré malgré la forte présence de cette bactérie dans l’environnement agro-industriel.

C’est sur ce postulat que s’est inscrit la thèse de doctorat d’Antoine Gaillac dans l’Unité SECALIM. Antoine a été lauréat d’un contrat doctoral financé par l’INRAE et la Région des Pays de Loire. La thèse s’est déroulée du 1er décembre 2020 au 31 janvier 2024 sous la direction d’Emmanuel Jaffrès et d’Hervé Prévost (UMR Secalim), en collaboration également avec l’Unité « Biofilms et Communautés Spatialement Organisées » de l’Institut Micalis (INRAE, Jouy en Josas). Les travaux de thèse d’Antoine avaient pour objectifs de répondre à trois questions de recherche : (i) Quelle est la diversité de capacité de formation et de structure des biofilms chez B. thermosphacta ? (ii) Quelle est l’influence de la nature des matériaux de surface sur les biofilms de B. thermosphacta ? (iii) Quels sont les déterminants génétiques impliqués dans la vie en biofilm chez cette bactérie ?

A : photo du bioréacteur à biofilms utilisé pendant la thèse d’Antoine Gaillac pour cultiver les biofilms de Brochothrix thermosphacta sur des coupons de trois types de matériaux (polycarbonate, polystyrène et acier inoxydable).

B : photo des coupons des trois types de matériaux (1 : polycarbonate, 2 : polystyrène et 3 : acier inoxydable).

Au cours de sa thèse, Antoine a travaillé sur une collection de 30 souches de B. thermosphacta isolées de divers aliments et également de l’environnement agro-industriel. En utilisant 3 approches méthodologiques différentes : le Biofilm Ring Test (BRT), la coloration au cristal violet et la microscopie confocale à balayage laser, il a identifié une hétérogénéité de formation de biofilm entre les souches de cette espèce, avec des fortes et faibles productrices de biofilm. Les fortes productrices montrant des biofilms plus denses, épais et volumineux que les faibles productrices. Par ailleurs, aucune différence de croissance du biofilm n’a été observée sur différents matériaux utilisés dans l’environnement agro-industriel (polycarbonate, polystyrène ou encore acier inoxydable). En revanche, Antoine a montré que la structure de ces biofilms est influencée par la topographie de surface des différents matériaux.

A : Photos de la topographie de surface de trois types de matériaux utilisés en industrie agro-alimentaire (polycarbonate, polystyrène et acier inoxydable), obtenues par microscopie confocale à balayage laser (Gaillac et al., 2024)

B : Photos de la structure 3D des biofilms de Brochothrix thermosphacta cultivés sur les trois types de matériaux, obtenues par microscopie confocale à balayage laser (Gaillac et al., 2024)

Le génome d’une souche forte productrice de biofilm a été séquencé et les gènes annotés afin de les comparer avec les gènes associés à la formation de biofilm chez Listeria monocytogenes. Cette bactérie est une proche cousine de Brochothrix thermosphacta et dont les biofilms ont été beaucoup étudiés. Soixante-neuf gènes communs et potentiellement impliqués dans la formation de biofilm ont été identifiés par Antoine, dont des gènes impliqués dans la production de molécules de la matrice des biofilms chez Listeria monocytogenes. Enfin, l’expression différentielle des gènes entre culture planctonique[3] et en biofilm a été réalisée par analyse transcriptomique[4]. La comparaison de ces deux conditions a permis à Antoine d’identifier par exemple l’activation de transporteur de sucre comme le fructose, le mannose ou encore l’inositol. L’ensemble des résultats obtenus par Antoine pendant sa thèse ont permis de mieux comprendre le comportement de Brochothrix thermosphacta en biofilm et d’ouvrir de nouvelles voies sur son étude.

Antoine Gaillac lors de la présentation de ses travaux de thèse en conférence internationale à Porto (SurfSafe conference « Biofilm detection and control in the food industry » 27-29 September 2023, Porto, Portugal.

Antoine a publié ces résultats dans deux articles scientifiques[5], qui sont à notre connaissance les deux premiers articles publiés spécifiquement sur les biofilms de B . thermosphacta, et un troisième est en préparation. Il a également communiqué ses résultats dans plusieurs congrès scientifiques internationaux. Il a brillamment soutenu sa thèse de doctorat le 12 avril dernier à Oniris (Nantes). Il vogue désormais vers de nouveaux horizons, mais les recherches sur Brochothrix thermosphacta se poursuivent au sein de l’Unité SECALIM, qui n’a pas fini d’adhérer à cette thématique.

Antoine Gaillac, Hervé Prévost et Emmanuel Jaffrès

Contact : emmanuel.jaffres@oniris-nantes.fr


[1] SECALIM (SECurité des ALIments et Microbiologie) est une Unité Mixte de Recherche (UMR1014) INRAE/Oniris qui exerce ses activités dans le domaine de la sécurité microbiologique des aliments.

[2] Les biofilms bactériens peuvent être définis comme des amas structurés de cellules bactériennes vivant en communauté, adhérant à une surface et pouvant se développer dans une matrice de polymères extracellulaires autoproduite.

[3] Contrairement à la culture des bactéries en biofilm qui nécessite l’adhésion des bactéries à une surface, la culture sous forme planctonique ne nécessite aucune adhésion, les cellules bactériennes évoluent en suspension dans un milieu liquide.

[4] La transcriptomique est une discipline de la génomique consacrée à l'étude du transcriptome, c’est-à-dire l'ensemble des molécules d’ARN (transcrits) résultant de la transcription du génome lors de l’expression des gènes.

[5] Gaillac, A., Briandet, R., Delahaye, E., Deschamps, J., Vigneau, E., Courcoux, P., Jaffrès, E., Prévost, H., 2022. Exploring the Diversity of Biofilm Formation by the Food Spoiler Brochothrix thermosphacta. Microorganisms 10, 2474. https://doi.org/10.3390/microo...

Gaillac, A., Gourin, C., Dubreil, L., Briandet, R., Prévost, H., Jaffrès, E., 2024. Biofilm formation of the food spoiler Brochothrix thermosphacta on different industrial surface materials using a biofilm reactor. Food Microbiology 120, 104457. https://doi.org/10.1016/j.fm.2...