Bertrand Augier, à travers les crises, une nouvelle lecture de la fin de la République romaine
Publié par EchoSciences Pays de la Loire, le 6 décembre 2024 440
Bertrand Augier est maitre de conférences en histoire romaine à Nantes Université. Spécialiste de l’Antiquité, il s’attache à revisiter l’histoire politique de la fin de la République romaine, une période de crises politiques et sociales majeures, pour en offrir une nouvelle lecture. Avec son projet CRRITIC soutenu par la Région Pays de la Loire, il questionne les récits établis pour dévoiler toute la complexité des conflits, des acteurs et des transformations qui ont façonné cette époque.
« J’ai un rapport très intime à l’histoire, et ce, depuis l’enfance » C’est au travers de ses premiers livres, offerts par ses parents, que Bertrand Augier a découvert l’Histoire et qu’il s’y est plongé. Des livres qui faisaient de lui un explorateur voyageant au travers des sociétés du passé. Et, c’est ce lien très intime au passé qui l’a amené plus tard en classe préparatoire littéraire, vers un goût plus proprement intellectuel de l’Histoire, « c’est-à-dire ce goût pour le raisonnement historique, ce goût pour la réflexion sur les sources, ce goût aussi pour la formulation de modèles interprétatifs sur les sociétés passées. ». Une affection pour l’Histoire, avec une prédilection pour l’Antiquité, qui l’a amené jusqu’en thèse à l’Université Paris Nanterre avec pour sujet « les officiers des armées romaines pendant les guerres civiles ». Il a ensuite intégré l’École Française de Rome durant trois ans où il a commencé à développer son projet de recherche autour des crises politiques de la fin de la République romaine.
Ce qui intéresse Bertrand Augier c’est l’histoire du conflit. Comment les systèmes politiques et le tissu social peuvent se défaire et se refaire ? Comment les hommes se disputent et se séparent pour de nouveau refaire communauté sur de nouveaux principes ? Particulièrement, les conflits du 1er siècle av. J.-C., et apparemment « ce n’est pas un hasard, car un des premiers livres [qui lui] a été offert dans cette collection (offerte par ses parents) était sur Vercingétorix, le deuxième sur Jules César ».
La fin de la République romaine, une période marquée par les crises
La fin du 1er av. J.-C. est une période tumultueuse rythmée par de nombreuses crises politiques qui font et défont le système politique de l’époque : la République. La République romaine est un système dominé par les grandes familles aristocratiques où le pouvoir repose traditionnellement sur trois piliers : le Sénat, les magistrats, et le peuple de Rome. Les équilibres politiques, autrefois garantis par un jeu de contrepoids institutionnels, se délitent sous la pression de figures charismatiques : les imperatores. Ces chefs militaires, tels que Marius, Sylla, Pompée, César ou Octavien, s'appuient sur leur richesse, leur influence sociale et leur pouvoir militaire pour s’imposer sur la scène politique, marginalisant peu à peu les institutions traditionnelles. Ce processus amorce une transition fondamentale, marquée par des guerres civiles et des luttes de pouvoir, qui conduit à l’effondrement du système républicain. Cette période s’étend d’environ 133 av. J.-C., avec le tribunal de Tiberus Gracchus, à 31 av. J-C soit la victoire finale d’Octavien, plus tard nommé Auguste à Actium. Elle donnera naissance au principat Augustéen.
Une relecture politique de la fin de la République romaine au travers des crises
Alors, pourquoi étudier particulièrement cette période conflictuelle ? L’idée est d’approfondir la vision défendue par les contemporains de l’époque, afin de réhabiliter l’histoire politique de ce siècle. Il s’agit également d’apporter autre regard pour comprendre cette histoire politique autour de la notion de crise. La crise, en effet, agit comme un révélateur d’une société qui ne peut plus fonctionner selon des modèles traditionnels. Elle joue aussi un rôle d’effecteur, offrant le choix entre plusieurs voies possibles, conformément à son étymologie grecque κρίσις, signifiant l'action de décider, de séparer, de trancher. Ainsi, « de la crise naît inévitablement quelque chose de nouveau ».
L’idée est de montrer que cette république était vivante, qu’elle s’adaptait beaucoup au fur et à mesure des crises qu’elle vivait. Tout comme ses acteurs. C’est d’ailleurs au travers de nombreuses sources que Bertrand Augier va chercher les réponses. Celles-ci incluent des textes littéraires rédigés par des contemporains de la période, comme Cicéron, mais aussi par des auteurs postérieurs tels que Plutarque ou Cassius Dion. À cela s’ajoutent les monnaies frappées par les protagonistes, qui constituent des sources numismatiques dotées d’un discours iconographique. Ces monnaies jouaient souvent un rôle de propagande, car, comme il le souligne : « Émettre une monnaie, c’était transmettre un message, offrir une vision de son action politique à l’époque ».
C’est un travail à plusieurs têtes, que de recenser les périodes conflictuelles et les protagonistes qui ont marqué la période. Bertrand Augier est donc aidé d’une post-doctorante, Gaëlle Perrot qui répertorie ces données : acteurs des crises, les conflits et puis les actions conduites par les acteurs à travers ces différents épisodes. Elles sont ensuite intégrées à une base de données open source élaborée par un ingénieur de recherche Benjamin Musole. Ce travail permettra de produire un outil relationnel d’analyse sur les conflits de la période de la fin de la République romaine. Elle sera alors réutilisable par d’autres chercheurs qui étudient la période. L’objectif est de livrer une histoire politique de cette période qui soit beaucoup plus complexe, complète que celle qui est fréquemment mise en avant dans un certain nombre d’ouvrages.
Comprendre le passé
Le projet CRRITIC (Crises de la République Romaine : Identités, Transformations, Imaginaires et Conflits), porté par Bertrand Augier, bénéficie du soutien de la Région Pays de la Loire dans le cadre du dispositif « Étoiles Montantes », destiné à encourager de jeunes chercheurs à développer des projets innovants. Avec ce projet, Bertrand Augier ambitionne d’apporter un nouvel éclairage sur une période de l’Histoire maintes fois explorée, tout en renouvelant notre compréhension des dynamiques à l’œuvre.
Bien qu’il affirme ne pas croire à une « utilité » de l’Histoire au sens strict, il en défend la valeur profondément libératrice et émancipatrice. Selon lui, l’Histoire exige une rigueur intellectuelle, une ouverture d’esprit et une posture critique face aux récits et aux faits. C’est dans cette capacité à interroger, déconstruire et analyser les sociétés du passé que réside son véritable intérêt. Plus encore qu’une discipline académique, l’Histoire se révèle être un outil pour repenser le monde, enrichir notre compréhension du réel et élargir notre horizon intellectuel.