Aqua ça sert de partager les données des agriculteurs irrigants ?

Publié par Marianne Lefebvre, le 23 octobre 2024   150

L’agriculture, comme tous les autres usages de l’eau, subit des restrictions à l’irrigation lors des épisodes de sécheresse estivale. Les conséquences pour les agriculteurs sont extrêmement lourdes : pertes de rendements ou de qualité liées au déficit d’apport en eau, dommages à long terme sur les cultures pérennes, conflits avec les autres utilisateurs de la ressource. Cela remet en question l’utilisation actuelle de la ressource.

Pauline Pedehour et Marianne Lefebvre

L’eau, un enjeu essentiel pour les agriculteurs irrigants

Alors que l’eau représente un intrant essentiel pour le secteur agricole - qui s’affirme comme le plus gros consommateur de la ressource devant la consommation d’eau potable, de l’industrie et des centrales électriques- son utilisation n’est pas sans générer de conflits, voire même une guerre de l’eau en devenir.

A l’instar de nombreux autres départements français, la ressource en eau est indispensable au fonctionnement des systèmes agricoles. Par exemple, dans le département du Maine et Loire , l’agriculture irriguée représente 10% de la Surface agricole utile (SAU) mais 25% de la valeur de la production agricole. Les productions irriguées sont au cœur du dynamisme économique du secteur agricole. La mise en péril de sa disponibilité questionne la possibilité de transmettre des exploitations agricoles dont la rentabilité dépend de l’irrigation et le droit à l’eau des nouvelles exploitations.

Une question se pose dans ce contexte : Comment mieux utiliser et partager la ressource en eau entre les irrigants? De nombreuses solutions telles que les changements de cultures, la mise en place de matériel hydro-économe et le développement d’une gestion collective de la ressource pour mieux la répartir (via les OUGC) se mettent en place. Mais comment accélérer la transition vers des pratiques d’irrigation plus durables ? Le Plan eau, présenté par Emmanuel Macron le 20 mars 2023, a été vivement critiqué par les scientifiques pour son manque d’ambition. Une mobilisation collective est donc indispensable pour concevoir et évaluer des solutions ayant un réel impact.

Les outils numériques (vraiment ?) au service d’une irrigation performante 

Les outils numériques au service des agriculteurs se multiplient avec des usages multiples : échanger des données, automatiser des tâches, optimiser l’usage des intrants, aide à la commercialisation. D’après le Baromètre France Num, entre 2020 et 2022, 70% des entreprises agricoles interrogées trouvent que le numérique représente un bénéfice réel pour leur entreprise.

Dans le domaine de l’irrigation, ces outils digitaux permettent par exemple de mesurer les réserves en eau dans le sol (capteurs et sondes), d’optimiser les apports d’eau en fonction des besoins (outils de modélisation des bilans hydriques) et d’automatiser l’irrigation, d’être conseillé au moment de décider de l’assolement irrigué ou encore d’être informé en temps réel sur l’état de la ressource en eau et les restrictions en cours.

Mais l’agriculture numérique n’est pas toujours perçue comme éco-responsable. En effet, en automatisant les tâches, les outils numériques génèrent une perte de savoir-faire des agriculteurs. De plus, la dépendance aux solutions logicielles et matérielles développées par d’autres génère une perte d’autonomie des exploitations. Enfin, les quantités importantes de données indispensables au bon fonctionnement de ces outils posent la question de la protection et de l’accès à ces données mais aussi de la consommation énergétique.

Afin que les outils numériques pour l’irrigation permettent de sécuriser la production agricole tout en contribuant à la préservation de la ressource en eau, il est indispensable que les acteurs concernés acceptent ces outils et perçoivent les bénéfices pour la société dans son ensemble.

Quelle acceptabilité pour cette agriculture irriguée connectée ? 

Dans le cadre du projet BEHAVE, des chercheuses de l’Université d’Angers se sont intéressées à l’acceptabilité d’un dispositif numérique pour une irrigation plus performante, en partenariat avec la chambre d’agriculture des Pays de Loire et l’entreprise Aquasys qui fournit des solutions numériques pour la gestion de l’eau.


Ce dispositif, conçu par Aquasys et la chambre d’agriculture, et présenté dans la Figure suivante, consiste pour les agriculteurs irrigants à déclarer de façon hebdomadaire leur consommation d’eau durant la campagne d’irrigation ainsi qu’à partager des informations sur leurs cultures et sols afin de calculer les besoins théoriques en eau de leurs parcelles irriguées. Si leur consommation d’eau est inférieure à ces besoins théoriques, leur irrigation légèrement déficitaire est considérée comme performante. Un dispositif incitatif est prévu pour encourager l’irrigation déficitaire, en garantissant l’accès à des volumes d’eau même en période de restriction pour les irrigants performants. Il s’agît donc d’un dispositif de prévention qui encourage à fournir des efforts collectivement en début de saison d’irrigation pour réduire le risque de devoir restreindre voire interdire l’irrigation.

Si pour certains irrigants « plus tôt ce sera mis en place mieux cela vaudra pour le bassin, que ce soit pour la ressource et pour l’économie agricole de la région. Il y a urgence. » (Id 49), pour d’autres « avec ce système, on a l’impression d’être de plus en plus surveillé, beaucoup de temps passé à l’administration, moins de temps à la production ! » (id 109). Ainsi la mise en place d’un tel dispositif questionne les irrigants : « Je suis pour l'innovation si elle permet vraiment d'avancer. Pour que cela fonctionne il faut que le système soit simple et efficace. Il ne faut pas augmenter la charge administrative et financière des agriculteurs. Si un tel système est mis en place qui financera le remplacement des compteurs actuels par les compteurs connectés ? » (id 366). Les leviers et les barrières à l’adoption de ces innovations numériques sont nombreux dans un contexte ou « La bonne gestion de notre ressource en eau est notre avenir à tous » (id 381).

En s’appuyant sur une enquête auprès de 202 agriculteurs irrigants des bassins de l’Authion et de l’Aubance en Maine et Loire, plusieurs modalités de mise en œuvre du dispositif ont été testées. Les principaux résultats montrent que les irrigants sont pour la moitié d’entre eux convaincu de l’intérêt d’un tel dispositif. Mais ils ne sont pas séduits par les gains de temps permis par les compteurs communicants. Le chemin est encore long à parcourir pour convaincre l’autre moitié de l’urgence du changement de pratique et de l’intérêt de tels dispositifs basés sur le partage de l’eau en fonction de la performance. En effet, dans un contexte de gestion collective, il faut que tout le monde accepte le dispositif. La chambre d’agriculture va intégrer ces premiers résultats sur l’acceptabilité pour avancer dans ce projet.

Pauline Pedehour et Marianne Lefebvre