Alexandre Abhervé, relever le défi des semi-conducteurs de nouvelle génération

Publié par EchoSciences Pays de la Loire, le 13 janvier 2025   18

Alexandre Abhervé, chercheur CNRS au laboratoire Moltech Anjou à Angers, travaille sur un projet innovant financé par le dispositif Étoiles Montantes de la Région Pays de la Loire. Son objectif : créer de nouveaux matériaux capables de transformer nos technologies, notamment pour le stockage et la transmission de l’information, tout en étant plus simples à produire et plus respectueux de l’environnement.

Alexandre Abhervé, originaire de Bretagne, a suivi un parcours universitaire en chimie à Brest. Après son doctorat à Valence (Espagne), il rejoint le laboratoire Moltech Anjou, situé à Angers, aux côtés de Narcis Avarvari pour engager un travail de recherche axé sur les matériaux conducteurs. Une approche différente de son travail de thèse et de post-doctorat sur les matériaux moléculaires magnétiques. « L’idée de notre rencontre était de combiner les deux compétences et de travailler sur des composés qui soient à la fois conducteurs et magnétiques » Il mène donc pendant plusieurs années des recherches sur ces matériaux avant de proposer un nouveau projet au CNRS de synthèse de matériaux pérovskites avec des propriétés particulières. Des matériaux hybrides qui pourraient ouvrir la voie à de nouvelles technologies, comme les nouvelles générations de disques durs.

« Les semi-conducteurs sont à la base de toute notre vie au quotidien »

Au Moltech Anjou, l’un des axes de recherche porte sur le développement de semi-conducteurs, des matériaux utilisés dans nos objets électroniques du quotidien tels que les ordinateurs ou votre smartphone. Ils possèdent des propriétés à la fois conductrices et isolantes, ce qui signifie qu’ils peuvent, selon les conditions, laisser passer un courant électrique ou l’interrompre. « Tous les circuits imprimés sont des semi-conducteurs », précise Alexandre.

Cependant, les semi-conducteurs utilisés aujourd’hui sont souvent fabriqués à partir d’éléments rares en Europe, dont la production est complexe et coûteuse en énergie. Leur recyclage représente également un défi économique et environnemental. Dans un contexte européen où il existe un vrai besoin de souveraineté énergique et de réduire la dépendance au marché asiatique, le développement de semi-conducteurs de nouvelle génération devient essentiel.

C’est dans cette optique qu’Alexandre souhaite concevoir des semi-conducteurs à la fois plus performants sur le plan énergétique et moins gourmands en ressources. Son projet se concentre particulièrement sur des matériaux nommés matériaux pérovskites, largement connus dans le domaine des cellules solaires. Mais au fait, qu’est-ce qu’un matériau pérovskite ? 

Deux cristaux de pérovskites synthétisés par Alexandre Abhervé au laboratoire Moltech Anjou

Exploiter les multiples propriétés des pérovskites

Ici on observe la structure d'une pérovskite formée d'atomes métalliques de différentes tailles et d’atomes d’oxygène.

Les matériaux pérovskites sont des matériaux qui ont une structure atomique particulière qui forme une sorte de cube avec un gros atome* au milieu et de petits atomes qui forment une cage autour de lui (voir image). Cette configuration leur confère une grande polyvalence, car ils peuvent être synthétisés avec des combinaisons d’éléments chimiques qui leur donnent des propriétés comme la conduction d’électricité, l’isolation ou simplement la semi-conduction. Contrairement aux matériaux classiques comme le silicium, les pérovskites peuvent être fabriquées à température ambiante (jusqu’à 100°C), ce qui rend leur production à la fois plus simple et moins coûteuse. Et, le projet d’Alexandre Abhervé repose sur la synthèse des matériaux pérovskites dotés d’une autre propriété : la chiralité.

La chiralité est une propriété bien connue de certaines molécules qui les rend non superposables à leur image miroir, comme nos mains (voir illustration). En d’autres termes, deux molécules chirales peuvent avoir exactement les mêmes atomes et la même structure chimique, mais leur géométrie diffère. Ces deux versions sont appelées énantiomères. La chiralité joue un rôle clé dans des domaines comme la médecine. Par exemple, une molécule chirale peut agir comme un médicament extrêmement efficace dans une version, tandis que sa version "miroir" peut être totalement inefficace, voire toxique.

L'image miroir d'une main gauche est une main droite. La main gauche et la main droite ne sont pas superposable : la main est chirale.

« C’était quelque chose qui se faisait sur certains matériaux, molécules, mais ça ne se faisait pas encore dans les pérovskites, qui étaient utilisés jusque-là pour les cellules solaires »

Son idée est de concevoir des matériaux combinant la chiralité et les propriétés des pérovskites, non pas pour des cellules solaires, mais pour développer de nouveaux dispositifs de stockage et d’information adaptés aux technologies basées sur les semi-conducteurs.

Récemment, il a été découvert que les molécules chirales possèdent des propriétés intéressantes, notamment en matière de conductivité et de luminescence. Les deux énantiomères de molécules pérovskites, dotées de l’une de ces propriétés, interagissent différemment avec la lumière ou le courant électrique. « Ce sont ces propriétés que l’on essaie d’exploiter ici à Angers »

Par exemple, selon la configuration choisie des molécules pérovskites, il serait possible de produire une luminescence polarisée, orientée soit vers la gauche, soit vers la droite, ouvrant ainsi des perspectives d’applications pour des technologies comme les écrans 3D. Pour atteindre cet objectif, Alexandre travaille à synthétiser des molécules chirales spécifiques. Cela inclut la création d’un énantiomère lorsque seul son opposé est naturellement disponible, ou la synthèse en laboratoire de molécules qui ne se trouvent pas dans la nature. Ce travail aboutit à la conception de matériaux hybrides créés à partir de molécules organiques (à base d’atomes de carbone) chirales et de molécules inorganiques (incluant un ou plusieurs atomes métalliques), dans lesquels la chiralité va influencer les propriétés électroniques, ouvrant la voie à des applications technologiques de pointe.

Des matériaux pour un domaine de pointe : la spintronique

Ces nouveaux semi-conducteurs s’inscrivent dans un domaine de l’électronique : la spintronique. Apparue il y a une vingtaine d’années, la spintronique exploite une autre propriété de l’électron*, autre que le transport de charge, son spin ou magnétisme. L’électron peut être vu comme un micro-aimant dont on peut contrôler la direction. Une avancée qui « a révolutionné nos technologies, d’ailleurs les disques durs sont basés sur la spintronique ». Ce domaine a entre autres apporté les technologies quantiques. Cependant, son exploitation reste complexe, car elle repose principalement sur des matériaux ferromagnétiques, souvent inorganiques, coûteux et nécessitant des conditions extrêmes, notamment des basses températures. Bien que des progrès aient été réalisés grâce à la miniaturisation, le coût reste un frein majeur. C’est là qu’interviennent les molécules chirales. Elles pourraient offrir une alternative prometteuse en remplaçant les matériaux ferromagnétiques tout en permettant la manipulation du spin de l’électron, et donc la création de micro-aimants, sans nécessiter de champ magnétique. En exploitant simplement leurs propriétés chirales, ces matériaux pourraient transformer le domaine. Avec la « spintronique 2.0 », comme l’appelle Alexandre Abhervé, l’ « idée est de répondre à toutes les problématiques de stockage de l’information et de transmission ».

Pour comprendre le principe du spin de l’électron :

Après deux années de recherche, Alexandre a franchi l’étape cruciale de la synthèse des matériaux et se concentre désormais sur leur mise en forme. La prochaine étape consistera à intégrer ces matériaux dans des dispositifs fonctionnels, une phase d’expérimentation qu’il mènera directement au laboratoire Moltech Anjou, à Angers. Cette recherche s’inscrit dans un horizon de développement d’une dizaine d’années, ouvrant la voie à des applications technologiques innovantes.

Lexique :

* Un atome est la plus petite unité de matière qui conserve les propriétés d’un élément chimique, composé d’un noyau central (avec des protons et des neutrons) autour duquel gravitent des électrons.

*Un électron est une minuscule particule invisible à l'œil nu, qui tourne autour du centre d'un atome et qui est responsable de l'électricité et de la façon dont les choses interagissent entre elles à l'échelle microscopique.

Cet article a été écrit par Maéna Gérault pour EchoSciences Pays de la Loire.