L’ADN mitochondrial : un petit génome au cœur du vieillissement
Publié par L'équipe de recherche MitoLab, le 7 décembre 2023 1.6k
Savez-vous que nos cellules contiennent un autre type d’ADN que celui de nos 23 paires de chromosomes ?
Rencontre avec le Dr. Olivier Baris , chargée de recherche CNRS dans l’équipe MitoLab.
Je m’appelle Olivier BARIS, chercheur du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) dans l’équipe Mitolab au sein de l’unité de recherche Mitovasc qui est basée à Angers. Avant de vous présenter une de mes thématiques de recherche, une petite question. Savez-vous que nos cellules contiennent un autre type d’ADN que celui de nos 23 paires de chromosomes ? Il s’agit de l’ADN des mitochondries (ADN mitochondrial ou ADNmt), de petits organites présents dans les cellules.
Les mitochondries jouent de multiples rôles dans la cellule, et en sont en quelque sorte les centrales énergétiques. En effet, elles produisent une petite molécule, l’Adénosine triphosphate (ou ATP), qui contient l’énergie nécessaire aux fonctions cellulaires et qui par conséquent nous permet de bouger, respirer, parler…
L’ADNmt est très différent des chromosomes contenus dans le noyau des cellules. Il est circulaire (les chromosomes sont linéaires), de petite taille (16569 bases, soit environ 200000 fois moins que l’ensemble des bases contenues dans les 23 chromosomes) et surtout, il est présent en milliers de copies par cellule (contre 2 copies de chaque chromosome). De plus, il est à transmission maternelle, c’est à dire que lors de la fécondation, seul l’ADNmt de la mère est transmis, l’ADNmt paternel est spécifiquement dégradé. L’ADNmt ne permet de générer que 13 protéines, soit 1% de toutes les protéines mitochondriales. Pourtant, ces 13 protéines sont essentielles au bon fonctionnement de ces organites afin de produire l’ATP. Ainsi, l’intégrité de ce génome est cruciale.
Les mutations que peut subir l’ADNmt sont de deux types : les mutations ponctuelles, qui modifient une seule base du génome, et les délétions, qui consistent en la perte d’une portion de la molécule, parfois de plusieurs milliers de bases. Toutefois, de par la multitude de copies d’ADNmt présente dans la cellule, les mutations de ce génome n’auront un impact que si la proportion de copies mutées excède un seuil critique. Ce seuil est d’environ 60% pour les délétions et 90% pour les mutations ponctuelles. Lorsque cela arrive, la cellule perd la capacité à produire de l’ATP par la mitochondrie, ce qui peut entraîner des conséquences dramatiques. C’est le cas de mutations ponctuelles transmises par la mère à l’enfant comme pour le syndrome de Leigh (caractérisé entre autres par une atteinte du système nerveux) ou la neuropathie optique héréditaire de Leber (maladie entraînant la cécité), ou de délétions apparues sporadiquement lors du développement de l’embryon, comme pour le syndrome de Kearns Sayre (atteinte musculaire). Il n’existe pas de traitement pour ces maladies dites « mitochondriales ».
Il existe un autre contexte au cours duquel ces mutations de l’ADNmt peuvent apparaitre, c’est le vieillissement. Bien qu’il s’agisse d’un processus multifactoriel, l’implication des mitochondries, d’abord suspectée, a été depuis confirmée par l’utilisation de modèles in vivo présentant une accumulation accélérée de mutations ponctuelles de l’ADNmt, et qui vieillissent prématurément. En ce qui concerne les délétions, elles s’accumulent dans de multiples organes au cours du vieillissement, aboutissant ainsi au développement de mosaïques mitochondriales. Ces mosaïques sont constituées de quelques cellules ayant excédé le seuil critique de molécules d’ADNmt mutées, et de fait ayant perdu leur activité mitochondriale.
Ces cellules se trouvent au sein de nombreuses autres cellules à l’activité mitochondriale normale (figure 1). Ainsi, chez un homme de 70 ans, on évalue à 0,5% la proportion de cellules déficientes en activité mitochondriale dans le cœur.
En 2015, au cours de mon stage postdoctoral dans l’équipe de Rudolf WIESNER basée à Cologne (Allemagne), j’ai pu montrer que même à cette faible proportion, ces cellules déficientes influencent négativement la fonction du cœur, en participant à la genèse d’arythmies cardiaques, dont l’incidence augmente typiquement avec l’âge. J’ai pu ainsi établir un lien entre l’accumulation de délétions de l’ADNmt, les mosaïques mitochondriales et la perte de fonction des organes au cours du vieillissement.
Depuis mon arrivée en 2018 dans l’équipe Mitolab dirigée par Guy LENAERS, je développe des approches visant à retarder l’accumulation de ces délétions de l’ADNmt pour prévenir les effets néfastes qu’elles engendrent. Ma stratégie consiste à moduler ce qu’on appelle les mécanismes de contrôle-qualité mitochondriaux pour permettre de maintenir la qualité et l’intégrité de l’ADNmt. Les mécanismes que je cible sont la dynamique mitochondriale et la mitophagie. La dynamique mitochondriale est une balance entre des évènements de fusion des mitochondries, et des évènements de division ou fission des mitochondries. La fusion jouerait un rôle dans la complémentation des mitochondries, c’est-à-dire le partage de leur contenu en ADNmt, enzymes et autres, afin de maintenir la fonctionnalité de tous les organites. La fission quant à elle est requise lors de la division des cellules (pour répartir les mitochondries dans les cellules filles), mais aussi pour permettre l’élimination de mitochondries dysfonctionnelles par ce que l’on appelle la mitophagie, en les isolant des autres mitochondries.
J’ai à ma disposition un modèle in vivo qui reproduit l’accumulation de délétions de l’ADNmt liée au vieillissement dans le cœur et les arythmies qui en découlent, et pour lequel je cherche à moduler la dynamique mitochondriale et la mitophagie par des approches génétiques et pharmacologiques. Pourquoi cibler ces processus ? Je base mon hypothèse de recherche sur des résultats publiés dans la littérature, qui montrent notamment que des patients portant des mutations dans les gènes codant pour des protéines impliquées dans la dynamique mitochondriale accumulent des délétions de l’ADNmt. A terme, mon travail pourrait permettre de déterminer si des approches thérapeutiques ciblant dynamique mitochondriale et/ou mitophagie sont envisageables chez l’homme pour amoindrir l’impact des délétions de l’ADNmt au cours du vieillissement.
Dr. Olivier BARIS, chargé de recherche CNRS dans l’équipe Mitolab, Unité MITOVASC (CNRS, INSERM, Université d’Angers).
Cet article est issu d'une série de podcasts réalisée en en collaboration avec l'association étudiante Indésciences.