Une solution radicale et portative pour purifier l’eau
Publié par Hélène Biton, le 12 septembre 2021 780
Yann Pellegrin, Université de Nantes et Robert Forster, Dublin City University
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Depuis l’espace, on comprend combien la Terre, qui abrite l’humanité depuis si longtemps, est justement nommée « la planète bleue ». Elle doit cette couleur notamment aux océans qui recouvrent environ 80 % de sa surface. De prime abord, l’eau n’apparaît donc pas comme une ressource rare sur notre planète. Cependant avons-nous bien conscience que l’eau douce, la seule que nous puissions consommer, constitue seulement une infime fraction de ce colossal volume, environ 2,5 %.
Compte tenu de la spectaculaire croissance démographique à prévoir, la nécessité de protéger ce capital se fait plus prégnante, car, c’est une évidence, nous ne pourrons survivre à une pénurie d’eau douce.
La pollution de l’eau persiste longtemps après l’interdiction de produits polluants
Or, les activités humaines de toutes sortes ont mené à une pollution profonde des ressources d’eau douce. En France et ailleurs, les méthodes de purification mises en place dans les stations d’épuration et de traitement des eaux permettent encore aujourd’hui de fournir aux populations une eau de qualité ; néanmoins les instances environnementales sont inquiètes.
Par exemple, les concentrations de certains polluants organiques (c’est-à-dire des molécules constituées d’atomes légers tels que le carbone, l’oxygène, l’hydrogène, etc.) augmentent dangereusement dans les eaux de surface et les sources profondes : des produits herbicides interdits depuis plus de trente ans subsistent dans les sols, que l’eau de pluie continue à lessiver. Ces produits se retrouvent progressivement disséminés dans les nappes phréatiques et les cours d’eau.
Pire encore, certaines substances ne sont pas efficacement retirées des eaux polluées par les méthodes traditionnelles. Ainsi, le glyphosate est mal retenu dans le réseau poreux des charbons actifs utilisés dans les stations d’épuration pour piéger des espèces moléculaires « insolites », comme les antibiotiques, herbicides, produits d’hygiène personnelle, perturbateurs endocriniens. Leur présence dans l’eau douce est bien entendu anormale et n’est pas sans conséquence. L’Inserm a par exemple démontré que les femmes enceintes ayant consommé une eau polluée par l’atrazine, herbicide interdit dans l’Union européenne depuis 2003, avaient un risque de 70 % de mettre au monde un enfant avec une malformation crânienne.
L’incinération électrochimique : une méthode complémentaire efficace
Les méthodes actuelles ont fait leurs preuves pour purifier certains composés, mais d’autres passent à travers les mailles du filet.
Nous nous penchons sur des méthodes complémentaires qui permettraient de resserrer ces mailles. Une de ces méthodes est radicale, mais d’une très grande efficacité : elle consiste à « minéraliser » ces fameuses substances récalcitrantes. On transforme la matière organique potentiellement dangereuse en substances plus simples et inoffensives, comme le dioxyde de carbone, l’eau ou l’ammoniaque – des espèces aisément traitées par les méthodes de purification traditionnelles.
« Minéraliser » revient à anéantir les liaisons chimiques extrêmement solides qui constituent la matière organique. C’est assurément difficile. Pourtant, il existe une molécule dont la simplicité n’a d’égal que sa remarquable efficacité pour minéraliser les espèces organiques : c’est l’hydroxyle, de formule OH. Cette petite molécule est un oxydant trois fois plus puissant que l’eau de Javel. En contrepartie, elle est tellement réactive qu’elle ne peut être préparée, stockée et utilisée quand on en a besoin : il faut la produire in situ, au bon moment et au bon endroit.
Les hydroxyles sont des radicaux, c’est-à-dire des molécules intrinsèquement instables, « voraces », qui peuvent minéraliser pratiquement n’importe quelle molécule organique. Prenons le cas d’une molécule constituée seulement de carbone, oxygène et hydrogène. L’attaque d’un ou plusieurs hydroxyles sur cette dernière entraîne une série de réactions en chaîne aboutissant à la dégradation progressive de la molécule jusqu’à ce qu’il ne reste que ses éléments constitutifs les plus simples : du dioxyde de carbone CO2 et de l’eau H2O.
Une technologie sans fil pour un traitement efficace de l’eau polluée
Il existe plusieurs méthodes pour produire les hydroxyles. Parmi elles, une méthode qui semble avantageuse en termes de coût et d’efficacité est la « minéralisation électrochimique sans fil ».
Le principe de cette méthode est simple : dans un espace délimité par deux bornes de charges opposées, se crée naturellement un champ de force que l’on appelle champ électrostatique. Toute matière placée dans cet espace est soumise à ce champ de force, et subit ce que l’on appelle une polarisation : les charges mobiles présentes dans la matière se réorganisent et se concentrent, dessinant des zones plutôt chargées positivement, et d’autres, plutôt chargées négativement. Bref : des pôles apparaissent dans la matière sous l’action du champ de force électrostatique.
Des microparticules constituées de carbone et de bore, deux atomes voisins dans la classification périodique des éléments, vont bien sûr également se polariser lorsqu’elles sont placées dans un champ électrostatique. Mais en présence d’eau, toutes ces microparticules polarisées vont se comporter comme autant de microréacteurs produisant les hydroxyles par oxydation de l’eau, avec efficacité, de manière uniforme dans l’ensemble du volume à traiter où les microparticules sont dispersées.
Pour traiter des échantillons d’eau polluée par des matières organiques, on ajoute ces microparticules dans l’eau à purifier et on applique le champ électrique, ce qui génère les hydroxyles qui brisent les liaisons chimiques de la matière polluante. Comme les microparticules sont isolées les unes des autres, et ne sont reliées à aucune alimentation, on parle de « minéralisation sans fil ». Étant donné qu’elles sont insolubles dans l’eau, elles sont aisément retirées du milieu à traiter par une simple étape de filtration.
Les hydroxyles sont également efficaces pour inactiver des substances pathogènes biologiques, comme des bactéries, ce qui démontre le fort potentiel de la minéralisation sans fil en tant que traitement complémentaire des eaux polluées.
Développer un prototype portatif
Nous développons actuellement un prototype de purificateur portatif fondé sur la technologie de minéralisation sans fil. L’objectif est d’assembler un appareil capable de traiter des eaux polluées en flux continu.
Prenons l’exemple d’une entreprise dont l’activité l’amène à produire des eaux polluées : ne disposant pas localement d’usine de traitement de l’eau, l’entreprise doit stocker ce volume d’eau puis sous-traiter avec un organisme spécialisé. Cela nécessite des frais additionnels et le transport de gros volumes d’eau polluée.
Dans une telle situation, l’utilisation d’un prototype portatif capable de purifier l’eau localement serait un avantage certain : l’appareil pomperait l’eau polluée stockée dans une piscine de rétention, cette eau passerait à travers un réacteur contenant les microparticules capables de générer les hydroxyles. Dans ce réacteur, les polluants organiques même les plus récalcitrants seraient anéantis sous l’action combinée du champ électrostatique et des microparticules. Puis l’eau purifiée serait évacuée dans la piscine de rétention dont elle provient. Dans ce circuit fermé, l’eau serait ainsi progressivement traitée jusqu’à la disparition des polluants. Tout ceci reste à réaliser !
Vérifier l’efficacité de la purification grâce à des détecteurs très sensibles
Pour s’assurer de la qualité de l’eau traitée, un système de détecteurs très sensibles est spécialement développé.
Dotés d’une très grande sensibilité, ces détecteurs seront placés à l’entrée et à la sortie du réacteur. D’une part, ils permettront de mesurer l’efficacité de la purification, en indiquant si l’eau est plus pure en sortie de réacteur qu’en entrée. Il est en effet probable que plusieurs cycles de passage soient nécessaires pour des eaux très polluées. D’autre part, les détecteurs permettront de déterminer à quel moment arrêter la purification, en indiquant si la concentration des polluants est passée en dessous des seuils souhaités ou imposés par les instances environnementales européennes.
Yann Pellegrin, Directeur de recherche CNRS, Université de Nantes et Robert Forster, Professor of Physical Chemistry, Dublin City University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.