Manger des insectes pour réconcilier l'homme et la nature

Publié par Hélène Biton, le 3 septembre 2021   900

Gaëlle Pantin-Sohier, Université d'Angers

Cet article est publié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (qui aura lieu du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Coléoptères, chenilles, sauterelles… ça se mange, et c’est écologique ! Cette pratique, l’entomophagie, est pourtant encore balbutiante dans l’Hexagone, même si les enjeux environnementaux et nutritionnels modifient les comportements alimentaires des Français. Ceux-ci prennent conscience de l’impact majeur de la production et de la consommation alimentaire sur l’environnement et la santé. Une prise de conscience renforcée par la crise de la Covid-19 et le confinement.

La recherche d’alternatives et l’adoption de nouveaux régimes alimentaires (flexitarisme, véganisme, végétarisme) mettent en évidence l’intérêt que pourrait revêtir l’entomophagie.

En effet selon la FAO (Food and Agriculture Organisation), les insectes sont considérés comme une alternative durable aux protéines animales face à la raréfaction des ressources naturelles et à l’augmentation de la population mondiale.

La question de la réhabilitation de la consommation d’insectes dans les pays occidentaux est donc sur la table en raison des enjeux nutritionnels, économiques et écologiques qu’elle implique. Car les atouts de ce mets surprenant sont nombreux.

Leur taux de conversion alimentaire (quantité de nourriture requise pour produire une augmentation de poids de 1 kg d’insectes) est par exemple quatre fois plus élevé que celui des bovins. Ainsi, en moyenne, 2 kg d’aliments sont nécessaires pour produire 1 kg d’insectes, tandis que les bovins exigent 8 kg d’aliments pour produire 1 kg d’augmentation de la masse corporelle animale.

Autre avantage, leur faible production de gaz à effet de serre, qui est 10 à 100 fois plus faible que celle des porcs. De plus, ils consomment beaucoup moins d’eau qu’un élevage de bétail conventionnel, fournissent des protéines de haute qualité et présentent un faible risque de transmission de maladie zoonotique (grippe aviaire ou coronavirus).

Mais face à ces atouts majeurs se dresse un problème de taille : celui de l’acceptation des insectes en tant qu’aliment dans les pays occidentaux.

L’entomophagie, pratique émergente en Europe

Si quelques pratiques émergent en France et en Europe, la consommation reste marginale et expérientielle. Pour la majorité des consommateurs, les insectes sont considérés comme culturellement non comestibles, porteurs de dégoûts, de peurs, et associés à des comportements primitifs.

Pourtant, il existe, toujours selon la FAO, 1900 espèces d’insectes comestibles dans le monde (dont 250 en Afrique, plus de 500 au Mexique, 170 en Chine ou encore 428 dans le bassin amazonien).

Les plus couramment consommés sont les coléoptères (coccinelles, scarabées, hannetons, 31 %), les lépidoptères (chenilles, 18 %), les hyménoptères (abeilles, guêpes et fourmis, 14 %), orthoptères (sauterelles, criquets et grillons, 13 %) et hémiptères (cigales, cicadelles, cochenilles et punaises, 10 %).

Des sauterelles frites au Laos (Vientiane, 2010). Source : Chaoborus, Wikimedia Commmons. CC BY

Les consommateurs occidentaux ingèrent, sans le savoir, près de 500 grammes d’insectes par an via les colorants alimentaires, principalement la cochenille, à l’origine du carmin, un colorant rouge foncé.

Mais l’acceptation de cette alternative alimentaire implique une évolution des comportements et passe par une meilleure connaissance des déterminants sociaux, culturels, psychologiques et sensoriels des préférences et pratiques alimentaires.

Reportage de l’émission Futuremag (Arte).

Notre étude, publiée en 2019, explique pour quelles raisons les consommateurs ont des difficultés à adopter cette innovation alimentaire et quels mécanismes cognitifs (catégorisation, familiarisation) peuvent produire des effets positifs en matière d’acceptation.

Représentations des insectes : comestibles ou pas ?

Dans le domaine alimentaire, il est difficile de rattacher les insectes à une catégorie mentale existante. Or, la catégorisation joue un rôle majeur, notamment pour distinguer le « comestible » du « non comestible ».

En Occident, les insectes s’inscrivent dans la catégorie non comestible puisqu’ils sont considérés comme « non mangeables dans ma culture ».

Selon Rozin et Fallon, trois motifs de rejet de ces aliments sont identifiables : les propriétés sensorielles (liées à l’aversion), les conséquences anticipées de l’ingestion (liées au danger) et la dimension idéationnelle (liée au dégoût).

L’autre facteur dont dépend la catégorisation est l’expérience qui développe la familiarité et conduit ainsi à une augmentation de l’appréciation et de l’acceptation d’un nouveau produit.

Un ver au curry, plutôt appétissant !

Les résultats de notre étude qualitative portant sur 37 sujets âgés de 18 à 30 ans confirment la difficulté des répondants à catégoriser l’insecte comme aliment, ce qui provoque un rejet de sa consommation. Néanmoins, la nature des produits testés (insectes entiers nature, aromatisés et sous forme transformée) modère l’évaluation gustative des produits et leur degré d’acceptabilité.

Pour les insectes nature (vers de farine, vers à soie, vers de bambou, grillons, courtilière, sauterelle), l’aversion des répondants s’est exprimée spontanément – avant même que le produit ne soit goûté – en raison du caractère prétendument dangereux ou dégoûtant des insectes.

Le sentiment de danger provient de leur association à la saleté, à leur petite taille (qui les rend incontrôlables), à leur nombre très important. Autres associations négatives : leur capacité à se dissimuler, leurs mouvements et bruits (ils bourdonnent et grouillent), leur nuisibilité lorsqu’ils détruisent les champs, leur piqûre parfois dangereuse.

Le dégoût, quant à lui, se manifeste vivement car les insectes sont jugés répugnants notamment en raison des propriétés texturales qu’ils véhiculent (visqueux, gluants, craquant sous la dent, farineux).

Cependant, la transformation des produits impacte très fortement la comestibilité des insectes. En effet, lorsque les insectes sont aromatisés ou dissimulés dans des aliments connus, la familiarisation s’accroît et les insectes sont envisagés comme comestibles.

Le fait d’utiliser des marqueurs gustatifs connus (curry et goût barbecue dans notre étude) a permis d’atténuer le rejet. Certains répondants affirment même passer le cap de la dégustation en raison de leur appétence pour les arômes utilisés.

De façon plus marquée, lorsque les insectes sont intégrés dans une préparation connue (sablés au fromage ou gâteau au chocolat à base de vers de farine broyés), les consommateurs oublient tout simplement leur présence et leur attribuent d’emblée un statut comestible.

Le fait que 36 répondants sur 37 aient ainsi goûté aux sablés et au gâteau au chocolat démontre l’importance de dissimuler les insectes, visuellement et gustativement, pour favoriser leur acceptation.

Accroître la familiarisation

Notre étude montre que pour favoriser la comestibilité des insectes, il semble intéressant, dans un premier temps, de proposer des catégories de produits connues et valorisées à base d’insectes avant de mettre en avant les produits sous leur forme brute. Les insectes sous forme de poudre peuvent ainsi être incorporés dans des pâtes ou des barres de céréales, tandis que les insectes entiers peuvent être recouverts de chocolat.

Ensuite, il s’agit d’accroître la familiarisation et la probabilité d’essai en présentant les nouveaux produits à base d’insectes à côté de produits familiers : des chips à la farine de criquets dans le rayon chips, des burgers aux insectes à côté des burgers aux steacks végétaux…

Il est également important de renforcer la confiance des consommateurs en vendant ces innovations sous des noms de marques connues, de proposer des packagings valorisant le produit et de mettre en avant des ambassadeurs reconnus et appréciés du grand public (chefs, influenceurs ou sportifs médiatiques).

Ces différents leviers devront être accompagnés de campagnes de sensibilisation sur les avantages de l’entomophagie (en s’adressant aux enfants qui pourraient être de puissants vecteurs de changement sur le plan alimentaire) mais aussi d’un cadre juridique européen incorporant les insectes comme denrée alimentaire pour les humains.

Prix élevé

En effet, dans le cadre de la législation sur les « nouveaux aliments », l’Union européenne a la charge d’évaluer les risques sanitaires liés à la consommation de ces denrées et d’autoriser leur mise sur le marché, mais tarde à fournir ses conclusions. En attendant ces conclusions, la France suit les recommandations de l’UE en interdisant la commercialisation des insectes comestibles, mais la Belgique tolère la mise sur le marché de quelques espèces.

Reste enfin la question du prix, qui demeure très élevé. Afin de rendre ces nouveaux produits accessibles au plus grand nombre, l’automatisation et l’intensification de la production et de l’élevage d’insectes est nécessaire.

C’est le projet de la start-up française Ynsect, qui se lance dans l’élevage et la transformation à grande échelle de vers de farine.

Mais les insectes produits par Ynsect sont à destination de la filière animale, sept espèces étant actuellement autorisées à nourrir les poissons et animaux de compagnie. Pour la production d’insectes à destination des humains, il faut encore attendre…The Conversation

Gaëlle Pantin-Sohier, Professeur des universités en science de gestion, Université d'Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.