Sport : les filles sont-elles hors-jeu ?

Publié par Hélène Biton, le 9 octobre 2023   1.1k

Quel que soit l’âge, les femmes déclarent moins souvent une pratique intensive, et le décrochage est particulièrement marqué à l’adolescence. Coupe de l'X 2021 sur le campus de L'Ecole polytechnique, 2021.École polytechnique - J.Barande, CC BY-NC-ND

Frédérique Letourneux, Université de Nantes et Elvire Bornand, Université de Nantes


La gazette de l’été a été marquée par des exploits sportifs féminins. Après des années d’arrêt, le Tour de France Femmes s’est ainsi élancé pour la deuxième édition dans la foulée de la course masculine, puis les Bleues ont fait parler d’elles dans une Coupe du monde dont elles ont été éliminées par les Australiennes à l’issue d’« une séance de tirs au but irrespirable ».

Si l’écho médiatique de telles manifestations reste toujours plus confidentiel que lorsqu’elles se déclinent au masculin, il n’empêche que la diffusion de ces images contribue à lutter contre certains stéréotypes de genre qui cantonnent le foot ou le cyclisme à des « sports de garçon ». Même si les clichés ont la vie dure : les sportives de haut niveau évoluant dans ce type de sport restent souvent confrontées à un « procès de virilisation », comme le qualifie la sociologue Catherine Louveau, c’est-à-dire qu’on a tendance à leur reprocher de déroger à la norme du féminin et donc à venir « troubler l’ordre du genre ». Cette expression forgée par la philosophe Judith Buttler, est très bien illustrée dans dans le documentaire En terrain libre (Marie Famulicki, Delphine Moreau, Corinne Sullivan, 2021).

Un film de Marie Famulicki - Delphine Moreau - Corinne Sullivan (2021)

Des pratiques sportives qui ne sont pas neutres

En effet, c’est bien l’un des apports des enquêtes en sociologie du sport que de montrer que les pratiques sportives ne sont pas neutres : elles s’inscrivent dans des rapports sociaux de classe, de genre, d’âge et de sexualité. Première constatation, donc, les hommes et les femmes ne font ni les mêmes sports, ni à la même fréquence. D’après l’Insee, en 2020, 87 % des 16 ans ou plus déclarent avoir pratiqué une activité physique ou sportive au moins une fois au cours des douze derniers mois.

Quel que soit l’âge, les femmes déclarent moins souvent une pratique intensive, et le décrochage est particulièrement marqué à l’adolescence. À cet âge, c’est aussi le moment où les entraînements et les compétitions cessent souvent d’être mixtes, ce qui tend à renforcer des entre-soi sexués, avec les filles, d’un côté et les garçons, de l’autre.

Avec à la clé, la diffusion et le renforcement de stéréotypes genrés associés aux représentations juvéniles du sport : les sports collectifs comme le foot ou le rugby valoriseraient la rudesse et la compétitivité masculine ; à l’inverse des sports comme la gymnastique ou l’équitation qui seraient particulièrement ajustés à des qualités traditionnellement associées à la féminité comme l’élégance et la légèreté. Ces représentations influencent fortement les pratiques : par exemple, en 2022, sur les 2,1 millions de licenciés de la FFF (Fédération française de foot) moins de 200 000 étaient des femmes.

L’inégal accès aux équipements publics

Or ce qui se joue dans les fédérations et dans le choix des familles s’observe aussi à l’échelle des équipements publics ou de loisirs installés à destination des jeunes dans l’espace public. C’est ce que montrent les travaux réalisés par l’équipe de chercheurs autour des géographes Yves Raibaud et Edith Maruéjouls dans des quartiers prioritaires de la métropole bordelaise entre 2010 et 2013. Ils notent :

« Les résultats de l’enquête, toutes disciplines et communes confondues, font apparaître que les filles sont deux fois moins nombreuses dans les activités sportives (35% F, 65% G). Cet écart qui correspond aux statistiques nationales est plus important encore lorsque les communes s’appuient sur le seul secteur associatif. La proposition municipale s’adresse en majorité à des enfants de l’école primaire. »

Si dans l’espace public il existe bien une offre de loisirs qui se présente comme neutre, les skatepark, citystades, activités liées aux « cultures urbaines » sont en réalité conçus en priorité pour les garçons.

Si le foot et le skate ne sont pas en soi réservés aux garçons, les pratiques genrées sont consacrées par l’usage. Pxhere, CC BY-NC-ND

Dans cette perspective, ce n’est pas tant le développement de la pratique sportive qui est recherché que la pacification de la jeunesse masculine réputée difficile des quartiers populaires, comme l'indique la sociologue Carine Guérandel. L’attention publique portée aux garçons se traduit finalement par la valorisation d’un masculin neutre (les jeunes, les sportifs) qui masque, de fait, l’absence des filles dans les activités et sur les terrains.

Souligner les barrières symboliques

Car si le foot et le skate ne sont pas en soi réservés aux garçons, les pratiques genrées sont consacrées par l’usage. Dans le cadre de La Fête de la Science, nous menons une enquête participative avec un groupe de lycéens dans le quartier de Nantes Nord, un quartier populaire qui fait l'objet d'une vaste opération de renouvellement urbain.

Cette exploration urbaine a permis de souligner les barrières symboliques qui structurent l’entrée dans les espaces publics sportifs comme le citystade, à la fois en termes de représentations et de pratiques - « moi je ne veux pas m’afficher avec les garçons et jouer devant tout le monde » ; « je ne peux pas jouer, je suis en jupe.»

Sur le terrain de foot, il faut surtout tenir son « rôle de genre », et comme le note la sociologue Isabelle Clair « ne pas être un pédé » pour les garçons, et « ne pas être une pute » pour les filles. Les équipements sportifs fonctionnent alors comme des « opérateurs hiérarchiques de genre » : les garçons se démarquent par la technicité et la virilité ; les filles sont, au mieux, cantonnées au rôle d’observatrices voire de supportrices.

Quelles alternatives ?

Le géographe Yves Raibaud dénonce une ville faite pour et par les hommes : non seulement les postes clés de la construction et de la gestion de la ville sont occupés par des hommes, mais surtout les choix budgétaires ne sont pas neutres. Il note ainsi que :

« 75 % des budgets publics destinés aux loisirs des jeunes profitent aux garçons, toutes activités confondues (de la danse au foot, en passant par la médiathèque, les centres de loisirs, les séjours de vacances ou les écoles de musique) ».

Pour contrer ces inégalités de genre, certaines communes, à l’image de Nantes, s’engage à respecter un équilibre femmes / hommes dans les dépenses municipales, ce qu’on appelle aujourd’hui « la budgétisation sensible au genre » (BSG).

Les barrières symboliques structurent l’entrée dans les espaces publics sportifs. Ashima Parag/Unsplash, CC BY-NC-ND

Cette attention doit soutenir la promotion de sports mixtes, dont il est prouvé qu’ils favorisent la présence des femmes dans les équipements publics. Dans les enquêtes réalisées par Yves Raibaud, cette mixité est une demande qui émane en très grande majorité des femmes qui y voient une façon de promouvoir une ville plus inclusive.

Faire du sport… mais pas que

Il s’agit aussi de sécuriser les environnements des équipements et, par exemple, d’installer des bancs autour des skatepark pour autoriser une pratique du terrain de glisse qui ne soit pas que sportive.

C’est aussi au plan des représentations qu’il s’agit d’agir : le collectif Égal Sport a publié en 2018 une étude intitulée « Au nom des sportives », portant notamment sur la toponymie des installations sportives françaises montrant que seules 9% d’entre elles portent des noms de sportives ou de dirigeantes !

En matière de mixité, des exemples à l’étranger peuvent être inspirants : à Barcelone, à Vienne, à Genève…. Il faut retenir à la fois un principe de méthode – inciter les habitant·es à participer à la programmation de l’équipement – et d’ouverture - la pratique sportive doit s’inscrire dans la ville aux côtés d’autres usages (se rencontrer, discuter, échanger, etc.).

Réfléchir à la place des jeunes filles dans les équipements sportifs c’est plus généralement lutter contre l’hégémonie masculine dans la ville et le sentiment d’insécurité pour les femmes qui, parfois, en découle.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique  « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.The Conversation

Frédérique Letourneux, Sociologue, Université de Nantes et Elvire Bornand, Enseignante en sociologie, Université de Nantes

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.